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LE LIVRE DE MA VIE

timents que je dépeindrai, même tout uniment, ne seront donc jamais absolument simples, quelle que puisse être leur apparente netteté.


Je suis née à Paris, boulevard de Latour-Maubourg. Je n’ai pas gardé le souvenir précis du lieu où s’élevait la demeure vitrée comme une serre chaude que me décrivait souvent ma mère, devant laquelle un jour elle me conduisit, et où j’avais passé les premiers mois de ma vie. Ma mémoire s’éveille dans un opaque hôtel de l’avenue Hoche, spacieux et haut, serpenté par des escaliers recouverts de laine rouge, que surchargeaient et fleurissaient les roses, les verts, les bleus fanés des tapis d’Orient. Le salon le plus important de l’hôtel était habillé de peluche couleur de turquoise, meublé de canapés et de sièges dorés, et deux larges pianos y étalaient, côte à côte, le désert laqué de leurs reflets de palissandre, sous un haut palmier languissant. Les plantes vertes des appartements m’ont, en souvenir du palmier de mon enfance, attristée désormais comme le fauve soumis des cirques, comme la Malabaraise faisant emplette de provisions aux étalages d’un marché de Paris.

D’un autre côté du vestibule, un boudoir oriental, brillant, tintant, pourrais-je dire, comme des