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Page:Noailles Le Livre de ma vie.djvu/154

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LE LIVRE DE MA VIE

et susceptibles, la place à laquelle il avait droit. Ma mère ne dédaignait pas les distributions exactes des honneurs, non qu’elle leur accordât une valeur positive ou qu’elle mît quelque croyance en les vanités, — la musique, la poésie, la beauté, une religion sans pesanteur, évangélique et sereine, l’avaient vouée au culte d’un Bach, d’un Mozart, eussent-ils été chemineaux, — mais parce qu’elle recherchait en ses actions la justesse et la perfection. Nous l’entendîmes parfois citer avec force le livre de la Pairie, qui faisait loi en Angleterre et à l’ambassade de Londres, de la même manière dont elle eût nativement, et par hérédité, soutenu les dialogues où s’impose la logique de Socrate.

Mon père, lui, avait pour les réunions fastueuses autour de sa table, ainsi que pour l’accueil qu’il faisait à ses hôtes d’Amphion, une inclination qui tenait du digne amour du décor, d’une sorte d’éloquence dans l’organisation, à quoi se mêlait le besoin de voir croître autour de soi le bonheur dispensé par sa puissance. Je ne pourrais affirmer qu’une ancestrale habitude de commandement, une réminiscence des palais et des parcs d’Orient, le souvenir des réceptions et des calèches de Napoléon III ne s’épanouissaient pas en lui dans les moments où ses efforts aboutissaient à un agréable triomphe. Bien que j’éprouvasse fugitivement une fiévreuse fierté à regarder mon père se réjouir