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Page:Noailles Le Livre de ma vie.djvu/155

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LE LIVRE DE MA VIE

de ses réussites opulentes, mon plaisir cessait et faisait place au plus vif chagrin lorsque je voyais ma mère s’infliger, pendant la semaine, l’obligation de visites à faire, en série compacte et épuisante. À peine le déjeuner terminé, elle revêtait ces toilettes absurdes, spirituelles et despotiques, qui comprimaient la créature de toutes parts. Depuis le pied, étreint dans des chaussures boutonnées haut, jusqu’à la main engourdie dans le gant étroit qui ramassait la paume et la faisait bomber entre deux boutons de nacre, et à la voilette mouchetant le visage d’un semis chenillé ou de minimes grains d’acier, tout était recherche galante et insensée.

Ma mère se rendait, ainsi parée, au « jour » des personnes avec qui elle était en relations. Le « jour » ! fétichisme inimaginable et, en ce temps, formalité d’un code indiscuté. On allait révérencieusement au « jour » d’une Napoléonide, princesse impériale, mais non avec plus d’empressement qu’à celui de Mme Dubois, née Camille O’Méara, jadis élève aimée de Chopin, chère à tous les musiciens, et qui, à son « jour » modeste, mais noblement fréquenté, offrait des macarons savoureux soudés à un mince papier, qu’accompagnait un thé pâle, versé dans des tasses de Chine modiques, récemment déballées et arrachées aux copeaux d’un arrivage d’Extrême-Orient.

Au cours de telles réunions, auxquelles ma mère