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LE LIVRE DE MA VIE

m’emmenait parfois, je me promis de ne jamais me mêler, plus tard, à ces rencontres conventionnelles compliquées de souvenirs politiques ou coloniaux. J’avais trop sincèrement souffert d’impatience au « jour » de Mme Gavini de Campile} ou de Mlle Olga de La Grenée : l’une, ancienne préfète du second Empire, l’autre, sœur vaniteuse d’un explorateur mort, au loin, de la fièvre jaune. Je compris que j’étais venue au monde pour une tâche ample et rude, qui n’autorise pas les stériles loisirs et, par rapide discernement, me les montrait dénués de séduction. Le puissant et opiniâtre travail qui agissait en moi pour maintenir et développer le germe individuel, parallèlement à une amitié humaine si prodigue qu’elle eût pu m’anéantir en faveur d’autrui, composa le drame confus de mes plus jeunes années. La mission que je sentais m’avoir été confiée par le destin m’enjoignait de persévérer, lorsque passaient sur mon cœur les heures sombres ; de ne point fléchir ; de m’acharner. Et, en même temps, s’établissaient en moi ce profond grief contre la vie, cette hostilité envahissante et résolue, ce reproche réfléchi qui me faisait soupirer souvent, dans la langue allemande de mes gouvernantes, cet Ich möchte sterben (je voudrais mourir !) qu’un soir, à vingt ans, heureuse et orgueilleuse au bord d’une loge, j’entendis, à ma première audition de Tristan, jaillir de la gorge, soudain divine, du célèbre