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Page:Noailles Le Livre de ma vie.djvu/164

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LE LIVRE DE MA VIE

qui les préserverait de toute concupiscence.

Mais aussi la nourriture, considérée en ce temps-là comme salutaire, honnête et valeureuse, les vins, les cigares, les alcools entretenaient chez les hommes, avec la hardiesse et l’élégant libertinage, un sentiment de l’honneur dans l’amour, qui faisait d’eux des amants courtois et sûrs, dévoués à leurs conquêtes féminines comme un officier l’est à son épée.

Il est curieux de songer que le mot « silhouette » est à peu près absent du vocabulaire de l’époque. Des membres déliés, un visage gracile étonnaient et déconcertaient. La ravissante Mlle Van Zandt, cantatrice nordique qu’accompagnait sa robuste mère et que je connus au bord du lac quand j’avais cinq ans, était, par son charme fragile, le sujet de toutes les conversations. On l’aimait poétiquement, on la plaignit avec une particulière ardeur lorsqu’elle dut interrompre définitivement ses représentations à l’Opéra-Comique, où, un soir, elle apparut chancelante dans Lakmé, ayant absorbé, comme à son ordinaire, d’incalculables coupes de champagne, qui, cette fois-là, eurent raison de sa résistance diaphane et dorée.

L’embonpoint des femmes, glorifié par l’adoration de leurs amants, n’éveillait les propos satiriques que si le corps épanoui s’était désigné à l’attention par quelque singularité de l’esprit. C’est ainsi que j’entendis de légers sarcasmes