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LE LIVRE DE MA VIE

dirigés vers les formes excessives de deux personnes dont les torts n’étaient point dans leur aspect, mais consistaient à n’avoir pas craint d’afficher des opinions voyantes : l’une dans la violence, l’autre dans la vertu rehaussée de solennité ecclésiastique. En effet, Mlle Marianne Swistinoff, aimable Russe révolutionnaire, se réclamait du nihilisme, et la chanoinesse de Faudoas, vieille fille infatuée de son ascendance nobiliaire, avait obtenu, par des intrigues romaines, le titre religieux qui l’autorisait à porter en tout temps, sur ses vêtements, une large croix en diamants, qui soulevait, par son étrangeté dans les réunions mondaines, une réprobation unanime.

Nos déjeuners du dimanche étaient, je l’ai dit, précédés d’une station à l’église russe ; la fumée des encensoirs y était dense et comme épicée ; elle me touchait moins que celle que je respirais les jours de la semaine à la chapelle mi-espagnole et mi-anglaise de l’avenue Hoche, étroite église sévère où nos bonnes et nos gouvernantes catholiques retrouvaient leurs collègues et parlaient à voix basse, mais d’abondance, au-dessus de la tête de leurs élèves hébétées. La chapelle, alvéole religieux essaimé des villes saintes d’Avila et de Tolède, plus encore que de la plaintive Irlande, avait pour règle la pauvreté. On y voyait circuler