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Page:Noailles Le Livre de ma vie.djvu/168

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LE LIVRE DE MA VIE

qui me consolerait, me comprendrait, soutiendrait le cœur et l’orgueil si fréquemment blessé et abaissé des petits êtres ! Cette pauvre enfant compatissante, toute pareille à ce que j’étais, dont j’ai tant appelé la compagnie, s’est en effet, un jour, révélée à moi. Au cours de la vie, je la rencontrai en mon cœur et je la retins fortement ; elle me secourut, non sous la forme de la consolation que j’avais espérée, mais sous celle du courage, le seul bien que le sort puisse déposer dans un des plateaux de sa prodigue mais inique balance.

La mort de mon père, en me séparant de cette vie de réceptions et de faste où une sorte de philosophie heureuse s’apparentait, d’une manière noble, aux orchestrations et aux quadrilles étourdissants d’Offenbach, me laissait languissante, et j’eus une peine extrême à continuer d’exister. Je vivais dans une mélancolie que ma mère approuvait d’un regard profond et tendre et pour laquelle m’estimaient nos amis, veillant à la réparation de la déchirure familiale. L’amour, comme la dignité, avait été offensé en moi par la mort de mon père. Aux Champs-Élysées, où l’on nous menait dans l’espérance de « grand air » et dont je ne sus jamais goûter les petits théâtres de Guignol, la voiture aux chèvres, les boutiques bariolées