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LE LIVRE DE MA VIE

enfantins, mollement busqués, telles que Kayam et Saâdi les dépeignent quand ils les comparent à la tulipe, à la lune d’été, à un miroir d’argent. Devant ces princesses et ces esclaves ravissantes, vêtues, par courtoisie, à l’européenne, maladroitement enfermées dans des robes de satin broché, venu sans doute de Lyon et de Paris, ma mère donna un concert auquel le sultan se montra sensible. Pour la remercier, il lui offrit un diadème éclatant, parure incommode que, dans mon enfance, je la vis porter avec orgueil, mais en soupirant. Ce jour du Sultan fut marqué aussi par le don de la décoration la plus rare, que mon père obligeait ma mère à produire dans les fêtes parisiennes, soit qu’elle fût nouée à son cou parmi les perles ou fixée en sautoir au corsage ; le large ruban de moire blanche bordé de vermillon, qui retenait le pesant insigne, troublait ma mère, laquelle n’aimait pas exhiber l’exceptionnel et le fantasque. C’est de cette époque que date la possession du châle précieux dont j’ai parlé ; nappe immense de cachemire blanc, qu’envahissaient en bordure les algues multicolores de la broderie la plus minutieuse. Lorsque, tant d’années plus tard, Abdul-Hamid dut abdiquer et qu’il acheva ses jours dans la peur des poignards et des poisons, au fond d’un palais que cernaient l’injure et la menace, ma mère, fidèle, célébrait opiniâtrement la courtoisie et les vertus de l’homme qu’elle avait conquis par la beauté et