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LE LIVRE DE MA VIE

silencieux, absorbé rêveusement par les révolutions et les guerres de l’Indépendance, par la figure héroïque de Kanaris, que Hugo ressuscite en ces vers de magnifique couleur :

Mais il te reste, ô Grec ! ton ciel bleu, ta mer bleue,
Tes grands aigles qui font d’un coup d’aile une lieue,
Ton soleil toujours pur dans toutes les saisons,
La sereine beauté des tièdes horizons,
Ta langue harmonieuse, ineffable, amollie,
Que le temps a mêlée aux langues d’Italie
Comme aux flots de Baïa la vague de Samos ;
Langue d’Homère où Dante a jeté quelques mots !
Il te reste, trésor du grand homme candide,
Ton long fusil sculpté, ton yatagan splendide,
Tes larges caleçons de toile, tes caftans
De velours rouge et d’or, aux coudes éclatants !…

Mais, surtout, j’avais été intéressée par mon oncle Paul, qui m’avait instruite et divertie au cours des longues journées torpides. Je ne m’étais pas lassée de l’entendre me narrer l’aventure à laquelle il devait de n’avoir pas contemplé en face son dieu, son flambeau, son allégresse perpétuelle : Victor Hugo. Ayant, à l’occasion des quatre-vingts ans de Hugo, adressé au vieillard sublime un sonnet, qui, parmi des milliers d’envois poétiques, avait paru le meilleur à Auguste Vacquerie et à Paul Meurice, qui présidaient au dépouillement du scrutin lyrique, mon oncle était venu à Paris