CHAPITRE X
otre départ d’Arnaout-Keuï fut fixé pour le
début d’octobre ; ma mère échangeait avec
son père des adieux que chacun d’eux devinait
sans retour. Cette tristesse non formulée, jointe
à l’affairement que procuraient une vingtaine de
malles entrouvertes, ne me laisse qu’un souvenir
confus. Je retrouve des images exactes en revoyant
dans ma mémoire, toute notre famille, mon
grand-père excepté, se dirigeant vers le port de
Galata où était amarré seul et sous pression, dépensant
la vapeur, la fumée et la flamme, le bateau
destiné à notre rapatriement : l’Aurora. C’était
un pauvre bateau noir et roux que le Bosphore
sertissait de ses flots du soir, pourpres et dorés.
Le désordre et l’organisation du départ, recherchant
un difficile équilibre, groupaient sur l’embarcadère
les voyageurs soucieux de leurs bagages
et les portefaix, dont l’empressement maladroit
menaçait sans cesse les malles et les paquets.