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LE LIVRE DE MA VIE

cuistres ! » Mais le plaisir manquait dans la maison. Vivre sans plaisir, être une enfant qui, silencieusement, se retire en soi-même, n’interroge plus, considère, avec un ingénu dédain, autour de soi, l’affairement des grandes personnes occupées à diriger les serviteurs d’une maison dont tout l’apparat lui semble vain et répréhensible, quel poids sur un si jeune cœur ! Le jardin d’Amphion m’avait, en été, entourée de son charme bien connu et toujours agissant, mais j’y observais l’absence de mon père qui voilait jusqu’à l’éclat des jours parfaits. La poésie des paysages ne cessait de monter vers moi, et je l’enfermais en de premiers vers maladroits, récités par ma mère aux hôtes du voisinage ; malgré l’éphémère béatitude de l’orgueil flatté, je ne me satisfaisais pas de ces petits poèmes qui empruntaient puérilement à l’infini de Hugo l’antithèse poignante du berceau et de la tombe.

L’existence allait-elle continuer ainsi, trop lourde vraiment pour les forces d’une enfant brave, mais qui, ne prévoyant rien au-delà de son large cachot, souhaite plier le col sur l’épaule et mourir ? La mort n’apparaît pas à l’enfant comme rigide, funèbre, dissolvante. Sans images précises fournies par l’expérience, il y voit seulement la cessation élégiaque du mécontentement sensoriel, de la contradiction de toute chose répondant à son appel confus, car rien ne lui est témoin, auxiliaire ou complice.