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LE LIVRE DE MA VIE

Qui ne se souvient de s’être arrêté, comme allégé rapidement de tout fardeau, dans un chaud espace, devant la lyrique blancheur d’un mur frappé de la foudre du couchant ? On voit alors les indolents lézards reprendre soudain leurs mouvements de source ondoyante, cependant que l’herbage, les pavés de la route, un buisson épineux reçoivent une scintillante bénédiction et que brille au centre d’un calice la cétoine verte des rosiers ?

Par une alliance de charmes, Paderewski réunissait en lui ces dons vivifiants qui, s’il s’agissait d’une contrée, feraient dire que tout y peut prospérer, qu’un climat privilégié y est aussi favorable à la vigne et au froment qu’à la croissance des camélias décoratifs, du fragile mimosa que rassurent un été sans cruelles canicules, les bontés d’un prudent hiver. À la fois exubérant et réfléchi, rieur et grave, le jeune Polonais était volontiers fastueux comme sa patrie, qu’on imagine coiffée d’épaisse et précieuse fourrure, le dolman chamarré rejeté sur l’épaule, maîtrisant au rythme nettement scandé d’une « cracovienne » quelque monture difficile ; ou bien tendre et fraternel au plus humble, pareil ainsi à ces Wenceslas et ces Hedwige royaux, qui, sur le trône même, témoignaient des mérites inouïs de la sainteté.

Âme religieuse, Paderewski s’approchait du piano comme le prêtre rejoint l’autel. D’abord, il demeurait silencieux. Ses mains, secrètement