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LE LIVRE DE MA VIE

encourageront ton intrépide essor. Tu te crois nécessaire à la misérable et injurieuse planète. Es-tu soudain souffrant, tu luttes par l’âme et par le corps pour demeurer vivant, car, né avec le sentiment présomptueux de la tâche insigne et de l’exceptionnel, tu crains d’avoir tort en mourant. D’où te vient, pauvre enfant, pauvre homme, cette confiance dans une secrète protection ? Autour de toi, nulle assurance, nulle garantie. Regarde passer tout ce qui t’éblouit et triomphe. L’athlète est frappé de fièvre, il se débat, se révolte, et puis s’abandonne et s’éteint. Ce qui est vigoureux devient le malade ; le malade devient le moribond ; le mort est le mort. Et quelle éternité imaginais-tu donc pour que tu prisses un soin si minutieux de ton apparence et de ta renommée ? Sorti depuis des siècles des forêts ancestrales, où, du moins, tu obéissais sans conscience à la turbulente nature, préservé désormais de la rigueur des éléments, armé contre tes rivaux par l’ingéniosité et la raison des antiques aïeux, tu sentais décroître ton intuition et ton instinct, cependant que se développaient ta délicatesse et ton souhait du divin. Cet amoindrissement, en toi, de l’animal, est, crois-tu, toute ta dignité. Pourtant, tu aimes, tu désires, tu t’efforces de t’affirmer ; ainsi seras-tu redoutable et meurtrier dans l’ambition comme dans l’amour. Tu fais la guerre, d’individu à individu, de milliers d’hommes à milliers d’hom