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LE LIVRE DE MA VIE

au cours d’une chevauchée nocturne, je cessai de les entendre. Grâce aux sortilèges d’une musique rassurante et au rayonnement de l’artiste, je rendis à la terre mon amitié. Aussi, Amphion me fit connaître à nouveau ses enchantements. Nous n’habitions plus le charmant chalet au toit incliné, recouvert de fleurs comme le chapeau de paille des bergères. Ma mère, délaissant pieusement les souvenirs des années heureuses de son mariage, nous avait logés avec elle dans une seconde demeure appelée « le château », située dans le jardin, près d’un étang romantique, et qui, auparavant, abritait nos hôtes nombreux et prêtait ses vastes salles à des réceptions restées pour nous mémorables. Ce plaisant bâtiment de couleur blanche et rose était envahi à sa base par les viornes et les troènes, arbustes ténébreux aux floraisons lactées, et sur le treillage des murs s’élançaient jusqu’aux balcons des capucines, fleurs volantes posées sur la plate soucoupe de leur gai feuillage, gosiers dorés que l’heure de midi gorgeait de fraternelle lumière. Le château devait sa dénomination prétentieuse à une tourelle modeste, mais crénelée, qui touchait mon imagination ainsi qu’une romanesque fanfare. Le lac, en cette partie du jardin, était plus proche encore de nous. Au-dessus d’un bel arbre engoncé, appelé catalpa, je voyais respirer et frissonner imperceptiblement cette fraîche étendue d’azur liquide ; j’en goûtais