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LE LIVRE DE MA VIE

Paul Mariéton tenait de l’irréel quant à l’impulsivité qui faisait de lui une figure romanesque, menée en tous sens par le souffle d’un génie créateur qui aurait choisi pour divertissement le burlesque. Il y avait du lutin de Shakespeare dans ce gros homme poétique, musicien, solennel et risible, toujours prêt à se bafouer lui-même, comme à s’honorer sans mesure, bien qu’avec une éclatante incertitude.

Présomptueux ou élégiaque en amour, chaste amant dupé des vierges et des aventurières, sentimental jusqu’à l’émouvante niaiserie, il pouvait prétendre chevaucher, tel un sylphe, les rayons de la lune d’été, ou donner de la noblesse à la bouffonnerie classique et royale, couleur de pourpre et d’or.

Les événements et les renommées se groupaient volontiers autour de ce naïf et bourdonnant ami qui, en dépit de son érudition diverse, désordonnée et surabondante, offrait une âme spacieuse et désertique, tendrement accueillante aux strophes lyriques, aux héroïnes diaphanes, aux frelons et aux grelots.

Quand j’eus vingt ans, c’est chez Paul Mariéton, à Paris, dans son rez-de-chaussée obscur de la rue Richepanse, bondé de livres et de lettres qu’il attribuait confidentiellement à des couples d’amants célèbres, ou à la solitude amère d’Alfred de Vigny et de Barbey d’Aurevilly, que je rencontrai pour la première fois, pendant quelques instants