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LE LIVRE DE MA VIE

enfant qu’on ensevelissait et dont elle avait connu la chaleur délicieuse, les dimensions exquises, l’alerte et fine épaisseur, les couleurs que l’âme faisait vibrer, toutes les brusqueries et les pulsations de la vie. Tromperie atroce, injurieuse imitation du vrai, telle m’apparut cette contemplation déchirante ; de la même offensante manière, m’avait, dans mon enfance, attristée la carte du monde.


Pour les petites filles que nous étions, cette authentique et palpitante réduction de la planète que figurait l’Exposition Universelle semblait répondre à toutes les aspirations de l’enfance, désireuse d’aventures émouvantes ou redoutables. Sur mes prières, on m’épargna les visites instructives : la Galerie des Machines, les ateliers de filature, les bâtiments où se fabriquaient le verre, le chocolat, les boîtes métalliques emplies d’échantillons de biscuits. On m’accorda de ne cueillir sur le monde étranger que la poésie incorporée à sa substance. Sauf la Chine et le Japon, abondamment représentés par des bazars où le papier cotonneux, huileux, facilement en charpie, enveloppait les bibelots de bois dont nous faisions l’acquisition, et qui me livra définitivement la puissante et persistante odeur de la race jaune, la plupart des autres nations avaient envoyé, pour s’affirmer, leurs cabaretiers, leurs danseuses et leurs musiciens.