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Page:Noailles Le Livre de ma vie.djvu/29

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LE LIVRE DE MA VIE

au cours de laquelle — je m’en souviens bien, tant le sentimental dégoût de ce jour est fixé en moi — « l’oiseau fait son nid ! ». Enfin, elle nous conduisit chez un papetier et nous acheta deux petits calepins reliés en cuir de Russie, dont elle nous fit respirer le parfum d’encens, de gomme arabique. Une nausée de l’âme qui, depuis le matin, m’envahissait, atteignit là son point le plus élevé. Il faut que les enfants ne puissent pas mourir pour que cet après-midi m’ait laissée vivante. Depuis ces instants inexprimables, je ne crus pas à la consolation par le divertissement, par l’innocente débauche de l’âme à quoi des créatures charitables nous engagent. J’ai su depuis, et je ressens chaque jour, que l’enfant que j’étais, rivée au souvenir, immobile dans la douleur, ne s’était pas trompée.