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LE LIVRE DE MA VIE

vous dont le pur profil au menton volontaire, la bouche parfaite, convoitée par les Renommées sillonnant les nuées, l’œil d’aigle, clair à l’ombre d’une chevelure lisse et longue, m’enseignaient l’audace, l’opiniâtreté, le sommet des destinées, que j’ai aimé votre triomphal mystère !

Je vous voyais dans le sévère costume de Robespierre, mais étreint à la taille par une ceinture largement déployée qui marquait votre suprématie, et toujours dans le danger, dans un danger qui semblait n’affronter que vous seul, en avant de tous les autres ; vous si beau sur le pont d’Arcole, si hardi et compatissant parmi les pestiférés de Jaffa, si docte aussi au milieu des savants ! Jamais je ne mêlai votre image au fléau de la guerre, à l’atrocité des combats, des incendies, des mutilations. Pendant des années et des années, une clameur d’amour était montée vers vous, lancée par des millions d’hommes affamés de vous apercevoir, de vous toucher, d’obtenir l’assurance que, de loin même et au moment de périr, ils seraient placés dans la direction de votre regard.

Quand, sur la demande de vos régiments, après les batailles, vous passiez dans l’or invisible des victoires devant le carnage humain, comme un jeune Booz consciencieux parmi ses récoltes, étaient-ce des mourants au souffle épuisé, étaient-ce des demi-morts sanglants qui vous acclamaient encore, qui n’étaient pas rassasiés de votre per-