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Page:Noailles Le Livre de ma vie.djvu/39

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LE LIVRE DE MA VIE

sonne ? Il est impossible d’en douter. Longtemps après que vous eûtes rendu le dernier soupir, de vieux invalides, oublieux de leur chair offensée, suivaient votre image dans la nue et vous confondaient avec le fils de Dieu. Nul ne saura quel baume émanait de vous, anesthésiant les blessures, excitant l’esprit, jetant sur le trépas un nuage apaisant.

Votre nom mince, aigu et allongé de Bonaparte traversait comme un stylet votre gloire impériale, apportait un correctif à l’énorme éblouissement de votre dictature souveraine, maintenait en vous, comme était établi en vous votre délicat squelette, le sous-lieutenant de Brienne, le jeune général de Toulon, le pauvre soldat de la Révolution aux mains noircies de fumée, que jamais vous n’avez renié, que vous évoquiez même brutalement, sous la dure épithète de jacobin, parmi vos maréchaux, ducs et princes portant des noms de cités et de fleuves, — et qui mourut sur le plus étroit et le plus misérable lit du monde ! J’ai aimé, j’aime et j’adore en vous, héros sans égal, que Gœthe, dans sa lucide passion, appelait abrégé de l’univers, ce mythe du soleil se levant à l’orient, se couchant à l’occident, qui vous situa dans la légende et l’invraisemblable, de votre vivant même. En vous, j’aime la seule poésie désirée, la poésie vivante, qui inspirait vos actes et votre langage naturel. J’aime ce soir de mélancolie, de maladie, dans