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Page:Noailles Le Livre de ma vie.djvu/46

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LE LIVRE DE MA VIE

soi. Un matin, à la Malmaison, il fit retirer de sa chambre un tableau fascinant que Joséphine y avait suspendu en secret dans la nuit. « Je ne puis le voir, disait-il, il me gêne, me trouble, me donne la sensation insupportable que je vole mes musées. » Napoléon reconnut souvent qu’il n’avait eu en propre que son nom. Conviction et humilité des plus grands en face des buts indiscernables de l’univers ! Ce nom lui fut refusé sur le cercueil de Sainte-Hélène, où l’Angleterre ne consentit pas à le voir inscrit.

Grandeur, gloire, ô néant ! calme de la nature !

La rencontre à Prangins d’une enfant attentive avec le prince exilé qui portait en lui, mêlée au sang de Catherine de Wurtemberg, une part de la substance de Napoléon n’avait apporté que déceptions. Je sentais que l’ineffable génie de l’homme qui stupéfie l’Histoire s’était arrêté avec lui, le 5 mai 1821, à l’heure du crépuscule marquée sur le cadran du monde, où le canon anglais salua, dans un ébranlement recueilli par les rochers, le ciel, les eaux, et transmit aux siècles futurs la descente du soleil dans la mer et la libération d’un souffle fabuleux.

Mais la maussade et vigoureuse figure de Jérôme Napoléon, prétendant calculateur et morose, qui ne pouvait rappeler ni l’homme du tonnerre ni le captif flamboyant et débonnaire de Porto-