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LE LIVRE DE MA VIE

cette phrase d’un de ses livres de jeunesse qui m’avait frappee par la véhémente interjection : « Mon cher Rousseau, ô mon Jean-Jacques ! vous l’homme du monde que j’ai le plus aimé !… »

On le voit, le lac Léman m’apportait tout, depuis ce nom d’Amphion, donne par un lointain hasard du terroir à notre rive et à notre demeure. Mon père, au moment de son mariage, avait acquis le chalet élégant, entouré d’orangers en caisse au parfum ineffable, et le jardin bien dessiné, empiétant sur le lac, que possédait le comte Walewski. Trésor négligeable de l’Histoire, le comte Walewski était le fils des amours de Napoléon avec la Polonaise élégiaque et fidèle qui ne craignit pas de venir s’abattre dans l’île d’Elbe, portée par un voilier périlleux, afin de tendre au captif le front obscurément insigne de l’enfant qu’elle avait eu de lui. Napoléon contempla et embrassa la tête riante avec cette ferveur de père qui, plus tard, par le roi de Rome, fut sa blessure charnelle et pathétique.

Le nom d’Amphion émerveillait Maurice Barrès. Toujours enivré de poésie, il prenait plaisir à répéter pour lui-même ce vers frémissant de Hugo :


Homme, Thèbe éternelle en proie aux Amphions !


Que de souvenirs encore, que d’images fusant