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Page:Noailles Le Livre de ma vie.djvu/69

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LE LIVRE DE MA VIE

en tout sens ! Ouchy, Lausanne, Clarens s’honoraient à jamais de la visite de Byron et de Shelley ; Vevey, sinueux et ombragé comme le début des secrètes tendresses, avait offert à Alfred de Musset, pour l’énumération nostalgique des paysages de sa Nuit de Décembre, cette image simple, mais fraîche comme une peinture de maître, exécutée rapidement, les pieds dans la rosée, à l’heure matinale :

À Vevey, sous les verts pommiers…


Chillon et la prison de Bonivard apprenaient à ma pitié toujours à découvert que les cachots existent et que l’ingéniosité des hommes s’exerce et triomphe dans la cruauté

J’ignorais que Musset eût séjourné sur les bords du lac, quand, petite fille et si éprise de lui, je lisais, à bord du charmant bateau à vapeur de mon père, La Romania, ses Poèmes d’Espagne et d’Italie et, peu à peu, son œuvre entière. Les voyages sur le lac Léman, dont j’avais pourtant la passion, me causaient souvent un extrême malaise, surtout quand s’élevaient ces brusques tempêtes dont s’enorgueillissaient les habitants des rives et dont s’amusaient les voyageurs, habitués des puissantes eaux salines.

À l’heure du tangage et du roulis, je réfugiais mes vertiges dans une cabine tendue d’un drap couleur des flots et gracieusement décorée d’aquarelles marines, ou je demeurais étendue. On avait