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LE LIVRE DE MA VIE

pitié de mon pâle visage, on ne me délogeait pas. C’est là que, respirant l’humide odeur de la tenture feutrée et du bois verni, regardant par le hublot se soulever près de mon épaule l’épaule bleue des vagues, je connus la séduction de la poésie.

Ô Pépite, charmante fille !…


lisais-je, et mon imagination, pleine d’innocents pressentiments, se promettait à toute l’Espagne.

À Saint-Blaise, à la Zuecca !


lisais-je encore, et plus tard les vins de toutes les trattorie d’Italie, en leurs flacons inclinés, revêtus d’une robe de paille, eurent pour moi un goût d’Alfred de Musset.

Si vous croyez que je vais dire
Qui j’ose aimer…


accueillais-je dans mon cœur avec le trouble des adolescentes pour qui le poète de l’obsession amoureuse sera éternellement le premier et pur amant. Une sorte d’amour à la Musset pénétra ainsi en moi et se mélangea à toutes les formes d’amour que l’hérédité, l’énigme individuelle et les circonstances imposent à chaque créature. D’ailleurs, Alfred de Musset était-il bien le chantre nuageux, victime de la robuste George Sand, dont parlaient rêveusement, devant moi, de vieilles dames aux yeux clairs, Ninons et Ninettes déçues par leurs époux