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LE LIVRE DE MA VIE

voués à la philosophie, aux sciences, aux études absorbantes, et que nul n’avait satisfaites en leur noble ou frivole langueur ? Dames aux cheveux ternis, coquettement traités, ayant adopté de bonne heure la robe de dentelle noire, les pékins violets, parfois le gris, — qui leur semblait osé, — mais dont l’âme se souvenait d’avoir goûté, au temps des fiançailles, ces vers romanesques :

Jamais vent de minuit, dans l’éternel silence,
N’emporta si gaîment, du pied d’un balcon d’or,
Les soupirs de l’amour à la beauté qui dort…


N’étais-je pas, à quinze ans, plus perspicace qu’elles, lorsque je devinais et aimais les transes du poète charnel, ses apostrophes hardies, habillées de la jupe de gaze des danseuses et voilées d’une musique de concert, qui engourdissaient une partie de ma conscience d’enfant si honnête ? N’est-ce pas dans la ténèbre diabolique du sensuel amour que plongent tels vers qui retenaient longuement mon attention, et où le nom de Suzon pose avec adresse sa note légère ? Le nom de Suzon toujours réussissait à Musset. Qui pourrait n’aimer point ce cri de départ qui se déroule comme le léger tourbillon d’une brise alerte, emportant un parfum :

Adieu, Suzon, ma rose blonde ?


Voici le poème lu par moi, sur La Romania, avec une ingénue et curieuse prédilection, et qui, bien