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Page:Noailles Le Livre de ma vie.djvu/72

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LE LIVRE DE MA VIE

que situé dans le domaine déconcertant de la fantaisie, dirige vers l’instinct sa voluptueuse et cruelle morsure :

Évoque ton courage, et le sang de tes veines,
Ton amour et le dieu des volontés humaines !
Pénétre dans la chambre ou Suzon dormira ;
Ne la réveille pas ; parle-lui, charme-la ;
Donne-lui, si tu veux, de l’opium la veille.
Ta main à ses seins nus, ta bouche à son oreille ;
Autour de tes deux bras, roule ses longs cheveux.
Glisse-toi sur son cœur, et dis-lui que tu veux
(Entends-tu ? que tu veux !) sur ta tête et sous peine
De mort, qu’elle te sente, et qu’elle s’en souvienne ;
Blesse-la quelque part, mêle à son sang ton sang ;
Que la marque lui reste et fais-toi la pareille,
N’importe à quelle place, à la joue, à l’oreille,
Pourvu qu’elle frémisse en le reconnaissant.
Le lendemain, sois dur, le plus profond silence,
L’œil ferme, laisse-la raisonner sans effroi,
Et, dès la nuit venue, arrive et recommence.
Huit jours de cette épreuve, et la proie est à toi…


La passion, telle qu’elle se révèle chez Racine, devait bientôt recouvrir autoritairement le sentiment amoureux que m’inspirait Musset. Racine, qu’on s’obstinait à appeler le doux, le tendre Racine, — et ces adjectifs, dont usaient mes professeurs confinés dans la tradition et le vocabulaire de l’époque, me causaient une silencieuse irritation, — atteignait en moi la justesse d’âme de la fille des