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LE LIVRE DE MA VIE

à Henri IV, sa naissance huguenote, ses maîtresses aux beaux noms, son épouse florentine ; à Louis XIV, sa hauteur, ses bâtards, sa politique batailleuse, son asservissement de la noblesse, et enfin Mme de Maintenon, qu’il pensait accabler sous la dénomination de « la veuve Scarron ». À Louis XV, M. Dessus ne pardonnait point sa vie lascive, et le Bien-Aimé toujours me terrifia en dépit du plus tendre surnom. À Louis XVI, si pitoyable pourtant, notre malveillant ami demandait compte de la Révolution ; mais, à la Révolution, il reprochait tout. Les noms de Marceau, de Hoche, par patriotisme il les détachait des événements, les faisait flotter dans un espace immense et doré, puis, passionné pour eux comme il l’était pour la musique, il les immobilisait sur un socle aérien où les veillait une France ailée, ignorante et virginale. Ce n’est pas à lui qu’on eût pu citer, sans éveiller son apoplectique colère, la phrase charitable de Michelet, courant et trébuchant d’amour vers tous les pécheurs : « Robespierre avait bu du fiel tout ce que contient le monde… » Mais M. Dessus s’acharnait spécialement contre ces trois mots qui gagnaient mon cœur lorsque je passais devant le lycée Condorcet : Liberté, Égalité, Fraternité.

« Quelle mensongère niaiserie ! s’écriait-il. Quelle coupable et hypocrite affirmation ! »

Pourtant, si petite que je fusse, et possédant