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LE LIVRE DE MA VIE

de pouvoir, plus tard, prétendre à la souveraineté par quoi, en outre, on se saisit et se repaît des amours de son choix. Telle est, je crois, la fonction vigoureuse, habile et prudente de l’instinct dans l’enfant. Toutes les sensualités, celles de l’appétit délicat, des températures plaisantes, des mouvements, des repos ; celles des coloris, des sons, des arômes ; celle du génie même et des privautés qu’il autorise, auraient-elles à s’exercer, à connaître leurs puissances et leurs jubilations si tout l’être n’aspirait pas à cette récompense unique de la nature : le plaisir ? Le plaisir, approchant du parfait, le réalisant, le dépassant même, apportant, avec l’extension fulgurante dévolue un instant à l’individu, ce final désintéressement qui consent à la royale satiété de la mort. L’on peut nier que toute action ait pour but le plaisir, mais cette négation plonge dans l’ignorance où nous sommes des heures qu’il nous faudra combler par des occupations acceptables, pour aboutir aux instants enivrés dont l’approche nous soutenait secrètement dès l’enfance. Que de lassitude, que d’ennui, de bâillements, d’irritation, de colères, de désir de mourir chez l’enfant ! Il ne sait pas pourquoi il a été introduit dans la cage du monde, il erre, rôde, s’affaisse jusqu’à ce que la turbulente nature, à travers les barreaux, lui ait murmuré son véridique, invincible et décevant secret !