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Page:Noailles Le Livre de ma vie.djvu/97

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LE LIVRE DE MA VIE

chaud, sur un banc moisi, dans la plaine crépitante du chant d’insectes ailés, il me récita, non sans tendre émotion, ces vers consacrés par Victor Hugo à sa fille :

Elle était pâle et pourtant rose,
Petite avec de longs cheveux…

Je reçus cet hommage, saintement adressé, avec gratitude et le moins de coquetterie possible. Je vénérais et ne cesserai de vénérer ceux qui ont placé la poésie et la passion au-dessus des sens et de la terre ; nulle jeune fille ne fut plus séduite par l’espace que moi, et pourtant je demeurais assurée que l’oncle Jean de mon enfance n’était pas au ciel.

Après mon mariage, ayant appris le décès d’une compagne de mes cours de solfège, je me rendis à ses obsèques. La musique, les fleurs, les noires draperies, le feu pâle des lumières évoquaient moins pour moi la mort inimaginable qu’une singulière et ténébreuse volupté. La vie est puissante dans une jeune femme rêveuse. Comme je restais la dernière sur le parvis de l’église, je vis de quelle manière alerte, avec quelle rapidité vigoureuse on déménageait soudain le deuil et les honneurs rendus au trépas. Des hommes robustes et affairés arrachaient les tentures funèbres, roulaient les tapis, soulevaient des candélabres argentés, d’apparence somptueuse, mais creux et