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Page:Noailles Le Livre de ma vie.djvu/98

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LE LIVRE DE MA VIE

légers et qui symbolisaient misérablement ce que la plupart des vivants accordent aux morts, et ce que les regrets humains ont de superficiel et d’éphémère. Je regardais avec stupeur cette cessation, à la surface de la terre, de la mort éternelle. N’étant pas restée en relation avec la jeune femme disparue, je pensais moins à elle qu’à ceux qui la pleuraient ; ma détresse se portait vers sa mère, à qui le destin venait d’arracher son petit enfant de vingt ans. Mes regards allaient des abords de l’église, où diminuait le bruit du rangement, à l’atmosphère de Paris, nuageuse, ventilée, qui m’obligeait à presser contre ma bouche une cravate de fourrure. Le sentiment que la mère, à jamais dépouillée, avait perdu sa fille de chair, la louable créature un peu lourde dont je me remémorais nettement les yeux, les cheveux, la voix, — et non pas un ange planant désormais en d’invisibles régions, — provoqua en moi ce souhait de pitié profonde, conforme à mes vœux, et que la mère malheureuse eût repoussé avec horreur :

« Puisse-t-elle, du moins, ne pas croire que sa fille est au ciel… »