Page:Oeuvres complètes de N. Macchiavelli, avec une notice biographique par J. A. C. Buchon.djvu/393

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Fasn. Comme des troupes d’ordonnance ; non pas à la manière de France, qui est aussi dangereuse que la nôtre, et qui sert autant à nourrir leur insolence ; mais à Ja manière des anciens, qui composaient leur cavalerie de leurs propres sujets, qu’ils renvoyaient en temps de paix pour exercer leurs professions accoutu- mées. Mais avant la fin de cet entretien, je m’expliquerai plus au long à cet égard. Je ré- pète donc que si aujourd’hui cette partie des troupes vit du métier des armes, ce n’est que par la corruption de nos institutions militaires. Quant aux traitements que l’on conserve à nous autres généraux, je soutiens encore que c’est une mesure très-pernicieuse. Une sage républi- que n’en doit accorder à qui que ce soit, et n’avoir dans la guerre d’autres généraux que ses propres citoyens ; et elle doit à la paix les forcer de reprendre leur profession ordinaire. Ua roi prudent ne doit également accorder au- cun traitement à ses généraux, à moins que ce pe soit la récompense d’une grande action, ou le prix des services que ceux-ci lui rendent pendant la paix. Et puisque vous m’avez cité en exemple, je me permettrai de parler de moi. Jamais la guerre n’a été mon métier ; mon mé- tier à moi, est de gouverner mes sujets et de les défendre ; pour cela, je dois aimer la paix et savoir faire la guerre ; les récompenses et l’estime de mon roi ne sont pas tant le prix de mes talents militaires, que des conseils qu’il veut bien recevoir de moi pendant la paix. Tout roi sage et qui veut gouverner avec prudence, ne doit vouloir auprès de lui que des hommes de cette espèce. Il est aussi dangereux pour lui que ceux qui l’environnent soient trop amis de la paix, que trop amis de la guerre.

Je n’ai plus rien à ajouter à mes premières propositions ; si ce que j’ai dit ne vous suffit pas, ce n’est pas moi qui pourrai vous convain- cre. Mais vous voyez déjà quelles difficultés se présentent pour ramener la discipline des an- ciens dans nos armées ; combien de précautions à cet effet doit prendre un homme sage, et la nature des circonstances dont il peut espérer son succès. Vous saisirez plus aisément toutes ces vérités, si vous pouvez entendre sans ennui la comparaison que je vais faire des institutions anciennes avec celles de nos jours.

Cos. Vos sages entretiens n’ont fait qu’ac- croître le désir que nous avions d'abord de vous entendre. Nous vous prions vivement, après vous avoir remercié de tout ce que nous venons d'apprendre, d'achever ce qu'il vous reste à dire. ù

Fasr. Puisque cela vous est agréable, je commencerai par traiter cette question en la prenant jusque dans son principe; ces longs développements ne serviront qu'à l'éclaircir davantage. Le but de tout gouvernement qui veut faire la guerre,est de pouvoir tenir la campagne contre toute espèce d'ennemis, et de vaincre le jour du combat. Il faut donc mettre sur pied une armée. Pour cela , il faut trouver des hommes, les distribuer, les exercer par petites ou fortes divisions , les camper, et leur ‘apprendre à résister à l'ennemi, ou er route, ou sur le champ de bataille. C’est dans ces di- verses parties que consiste tout le talent de Îa guerre de campagne, la plus nécessaire et la plus honorable. Qui sait livrer une bataille se fait pardonner toutes les fautes qu'il peut avoir déjà commises dans sa conduite militaire; mais celui à qui ce don a été refusé, quelque re- commandable qu'il puisse être dans les autres parties , ne terminera jamais une guerre avec honneur. Une victoire détruit l'effet des plus mauvaises opérations, et une défaite fat avor- ter les plans les plus sagement concertés.

La première chose nécessaire à la guerre étant de trouver des hommes, il faut d'abord s'occuper de ce que nous appelons le recrute- ment, et que j'appellerai élite, pour me servir d'un terme plus honorable et consacré par les anciens ‘. Ceux qui ont écrit sur la guerre veulent qu’on choisisse les soldats dans les pays tempérés, seul moyen, disent-ils, d'avoir des hommes sages et intrépides, parce que, dans les pays chauds, les hommes ont de la pru- dence sans courage, et dans les pays froids, du courage sans prudence. Ce conseil serait bon pour un prince qui serait maitre du monde entier, et pourrait ainsi tirer ses soldats d'où il voudrait; mais comme je veux établir ici des règles qui soient utiles à tous les gouverne- ments, je me borne à dire que tout état doit tirer ses troupes de son propre pays ; qu'il soit froid, chaud ou tempéré, peu importe, Les an.


s Delectus.