Page:Oeuvres complètes de N. Macchiavelli, avec une notice biographique par J. A. C. Buchon.djvu/395

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Cos. Vous approuvez donc noire milice ?

Fabr. Pourquoi voulez-vous que je la blâme ?

Cos. C’est que beaucoup d’hommes éclairés l’ont blamée.

Fabr. Dire qu’un homme qui est éclairé blâme votre milice, c’est dire une chose contradictoire. Un tel homme peut être réputé éclairé ; mais c’est une injuste réputation qu’on lui fait.

Cos. Le peu de succès qu’elle a toujours eu nous a donné d’elle mauvaise opinion.

Fabr. Prenez garde : ce n’est peut-être pas sa faute, mas la vôtre ; et j’espère vous le prouver avant la fin de cet entretien.

Cos. Vous me ferez grand plaisir ; mais auparavant, je veux vous dire de quoi on l’accuse, afin que vous puissiez plus complétement la justifier. Ou elle ne peut rendre aucun service, dit-on, et alors se confier en elle, c’est causer la ruine de l’état ; ou au contraire, elle est en état de bien servir, et elle peut être, entre les mains d’un chef accrédité, un moyen de tyrannie. On cite les Romains, qui ont perdu leur liberté par leurs propres armées. On cite Venise et le roi de France. La première, pour ne point obéir à un de ses citoyens, emploie des troupes étrangères ; et le roi de France a désarmé son peuple afin de commander sans résistance. Mais c’est son inutilité qu’on craint davantage ; et on en donne deux raisons : son inexpérience, et la contrainte du service. Jamais, à un certain âge, on ne peut s’habituer aux exercices militaires, et la contrainte n’a jamais produit de bons soldats.

Fabr. Tous ceux qui donnent de pareilles raisons n’ont, à mon avis, que des vues

trainte, il faut obsener que ceux qui vont à l’armée par l’autorité du souverain, ne marchent pas tout-à fait par force, ni par l’effet seul de leur propre volonté. L’entière liberté offrirait les inconvénients dont j’ai déjà parlé ; il n’y aurait plus d’élite, et il pourrait arriver que peu d’hommrs se présentassent. Un excès de contrainte produirait d’aussi mauvais effets. Il faut donc prendre un moyen terme, également éloigné de l’excès de contrainte et de l’excès de liberté. Il faut que le respect que le souverain inspire détermine le soldat ; il faut qu’il redoute plus son ressentiment que les inconvénients de la vie militaire. Il y aura par-là un tel mélange de contrainte ei de volonté, qu’on n’aura nullement à craindre les suites du mccontenicmcnt.

Je ne dis pas que cette armée ne puis-e être vaincue ; l ; s armées romaines, celle même d’Annibal, l’ont bien été ; cl prut-on tdicment organiser une armée, qu’on puisse pour tonjours la préserver d’une défaite ? Vos hommes éclairés ne doivent donc pas assurer que votre milice est inutile, parce qu’elle a été battue quel(]uefois ; mais pouvant vaincre, comme ils peuvent être vaincus, ils doivent chercher à remédier aux causes de leur défaite ; et ils verraient, après y avoir réfléchi, qu’il faut en accuser, non la milice par elle-méaie, mais l’imperfection de son organisation.

Quant à la crainte de voir une partille institution fournir à un citoyen les moyens de renverser la liberté, je réponds que les armes fournies par les lois et la constitution aux citoyens ou aux sujets n’ont jamais causé de dangers, mais les ont prévenus souvent ; que

courtes ; il sera facile de le prouver. Votre ! les républiques se conservent plus longtemps

milice sera, dil-on, inutile ; mais je soutiens qu’il n’y a pas d’armée sur laquelle on duive plus compter que celle du pays même, et qu’il n’y a d’autre moyen de l’organiser que celui que je propose. Comm*— ceci n’est pas disputé, il serait inutile de s’y arrêter plus longtemps ; tous les faits tirés de l histoire des peuples anciens démontrent cette vériié. On parle d’inexpérience et de contrainte : sans doute l’inexpérience donne peu de courage, et la contrainte fait des mécontents. Mais je ferai voir que si vos soldats sont bien armés, bien exerces et bien distribués, ils acquerront peu à peu de Tespérience et du courage, Quant ù la coq armées que sans armes. Rome a vécu libre qu.ilre cents ans, et elle était armée ; Sparte, huit cents ans. D’autres républiques, privées de ce secours, n’ont pu conserver leur liberté audelà de quarante ans. Il faut des armées à une réj ublique ; quand elle n’en a w’ml en propre, elle en loue d’étrangères, et ce sont celles-là qui sunt les plus dangereuses pour l’autorité publique ; elles sont plus faciles à pervertir ; un citoyen puissant peut s’en emparer plus vite ; elles laissent à se^ projets un champ plus libre, puisqu’il n’a à opprimer que des hommes désarmés. Deux ennemis d’ailleurs sont plus à craindre qu’un » eul ; ei toute république ijui