Page:Oeuvres complètes de N. Macchiavelli, avec une notice biographique par J. A. C. Buchon.djvu/397

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

des bouchers, des chasseurs, et autres gens de professions semblables. Quant à moi, je fais fort peu de différence entre ces divers métiers quant à la valeur réelle de l’homme, mais bien quant au genre d’utilité que j’en puis retirer. C’est pour cette raison que les gens des campagnes, habitués à travailler la terre, sont les plus utiles de tous ; il n’y a pas un métier auquel on ait plus souvent recours à l’armée. Il serait ensuite très-utile d’avoir un grand nombre de forgerons, de charpentiers, de maréchaux et de tailleurs de pierre. On a besoin de leurs métiers dans une foule de circonstances, et il n’y a rien de plus avantageux que d’avoir des soldats dont on tire un double service.

Cos. Comment distinguer les hommes qui sont propres ou non au service militaire ?

Fabr. Je ne parle ici que de la manière de choisir une nouvelle milice pour en former ensuite une armée ; mais je vous entretiendrai par la même occasion du mode d’élite pour l’entretien d’une milice déjà organisée. On juge de la capacité d’un soldat, ou par expérience, s’il a déjà servi, ou par conjecture. On ne peut pas apprécier le mérite d’hommes nouveaux et qui n’ont jamais porté les armes ; et presque toutes les milices de nouvelle création sont dans ce cas. Au défaut de l’expérience, il faut recourir aux conjectures qui se forment d’après l’âge, la profession et le physique de l’individu. Nous avons parlé des deux premières qualités ; il nous reste à examiner la troisième. Je demande, avec quelques militaires distingués, et entre autres Pyrrhus, que le soldat soit d’une haute taille. L’agilité du corps suffit à d’autres : c’était l’opinion de César. On juge de cette agilité par la conformation et la bonne mine du soldat. Les yeux vifs et animés, le cou nerveux, la poitrine large, les muscles des bras bien marqués, les doigts longs, peu de ventre, les reins arrondis, les jambes et les pieds secs : telles sont les qualités que demandent encore ces écrivains. Elles sont propres à rendre le soldat agile et vigoureux, ce qui est le principal objet qu’on doit se proposer. Mais par-dessus tout, on doit porter la plus grande attention aux mœurs du soldat. Il faut qu’il ait de l’honneur et de la sagesse ; sinon, il devient un instrument de désordres et un principe de corruption. Jamais, en effet, on ne peut attendre rien d’honnête, jamais il ne faut espérer de vertus, d’un homme privé de toute éducation et abruti par le vice.

Pour mieux vous faire sentir l’importance de cette élite, je crois qu’il est nécessaire de vous expliquer d’abord de quelle manière les consuls romains, en entrant en charge, procédaient à la formation des légions romaines. Les guerres continuelles de Rome faisaient que ces légions étaient toujours composées d’anciens et de nouveaux soldats, ce qui laissait aux consuls les deux moyens dont nous avons parlé : l’expérience dans le choix des anciens soldats, et les conjectures dans le choix des nouveaux. Et ici il faut remarquer que ces levées ont lieu, ou pour les employer à l’instant même, ou pour les exercer et les tenir prêtes à s’en servir dans l’occasion. Je n’ai parlé et je ne parlerai que de ces dernières ; tout mon but est de vous montrer comment on peut former une armée dans un lieu où il n’y a point de milice, et par conséquent point d’armée à mettre sur-le-champ en campagne. Car, dans les pays où l’on a coutume de former des armées sous l’autorité du souverain, les nouvelles levées peuvent être envoyées sur-le-champ à la guerre, comme on le pratiquait à Rome, et comme on le pratique encore aujourd’hui dans la Suisse. S’il se trouve dans ces levées beaucoup de nouveaux soldats, il y en aura également une foule d’autres, formés aux exercices militaires ; et mêlés ensemble, ils forment une excellente troupe. Ce ne fut qu’au temps où les empereurs commencèrent à maintenir constamment les armées dans les camps, qu’ils établirent, comme on le voit dans la Vie de Maxime, des maitres d’exercices pour les jeunes soldats, qu’on appelait tirones. Tant que Rome fut libre, ce ne fut pas dans les camps, mais au sein de la ville que ces exercices avaient lieu. Les jeunes gens qui s’en étaient longtemps occupés, habitués déjà à toutes les démonstrations d’une guerre simulée, n’étaient point effrayés de la guerre véritable, quand il fallait abandonner leurs foyers. Ces exercices une fois abolis, les empereurs furent obligés de les remplacer par les moyens dont je vous ai déjà parlé. J’arrive enfin au mode des levées romaines.

Lorsque les consuls, chargés de toutes les