Page:Oeuvres complètes de N. Macchiavelli, avec une notice biographique par J. A. C. Buchon.djvu/398

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opérations militaires, étaient entrés en fonc- tions, leur premier soin était de créer leurs armées. On leur donnait à chacun deux lé- gions de citoyens romains qui en faisaient la vé- ritable force. Pour former ces légions ils nom- maient vingt-quatre tribuns militaires ; six pour chaque légion. Ceux-ci remplissaient à peu près les fonctions de nos chefs de bataillon. Ils faisaient rassembler ensuite tous les citoyens romains en état de porter les armes, et sépa- raient l’un de l’autre les tribuns de chaque lé- gion. Ils tiraient ensuite au sort la tribu où ils devaient commencer l’élite. Dans cette tribu, ils choisissaient les quatre meilleurs soldats. De ces quatre soldats, un était choisi par les tribuns de la première légion ; des trois restants, un par les tribuns de la seconde ; des deux autres, un par les tribuns de la troisième ; et le dernier allait à la quatrième légion. Les consuls choisissaient ensuite quatre autres sol- dats. De ces quatre, un était choisi par les tri- buns de la seconde légion ; des trois restants, un par les tribuns de la troisième ; des deux autres, un par les tribuns de la quatrième ; et le dernier allait à la première légion. Les con- suls choisissaient encore quatre soldats. Le choix appartenait alors aux tribuns de la troi- sième légion ; et cet ordre se suivait successi- vement, jusqu’à ce que l’élection fùt épuisée, et les légions complètes. Ces levees, comme je l’ai déjà dit, pouvaient être employées sur-le- champ, puisqu’elles étaient composées, en grande partie, d’hommes accoutumés à la guerre véritable, et que tous avaient été exer- cés à la guerre simulée. Cette élite pouvait donc se faire par expérience et par conjecture ; mais lorsqu’on a à organiser une nouvelle milice pour l’employer seulement plus tard, on ne peut choisir que d’après des conjectures sur l’âge et le physique des individus. Cos. Je reconnais la vérité de toutes vos pro- positions ; mais avant d’aller plus loin, je veux vous faire une question à laquelle vous m’avez fait penser, lorsque vous avez dit que votre élite, ne pouvant tomber sur des hommes déjà exercés au service militaire, n’aurait lieu que par conjecture. Un des principaux reproches que j’ai entendu faire à notre milice, c’est son trop grand nombre. On prétend qu’il faudrait en former un corps moins nombreux, qui se-rait plus brave et mieux choisi. On fatiguerait moins les citoyens, et on pourrait leur donner une petite solde qui les satisferait et assurerait leur obéissance. Je voudrais connaître votre opinion à cet égard, et savoir si vous préférez le grand nombre au petit, et quel mode d’ó- lection vous adopteriez dans l’un ou l’autre

FABR. Le grand nombre est sans aucun doute plus sûr et plus utile que le petit ; et pour mieux dire, il est impossible de former nulle part une bonne milice, si elle n’est pas très nombreuse. Il sera facile de détruire tout ce qu’on allègue contre cette opinion. Le petit nombre pris sur une grande multitude, comme dans la Toscane, par exemple, ne fait pas du tout que vous ayez des soldats plus sûrs et mieux choisis. Si dans le choix vous voulez vous régler d’après l’expérience, il y en aura d’a- bord très-peu qu’elle puisse vous faire juger. Très-peu, en effet, auront été à la guerre, et de ceux-là, très-peu se seront comportés de manière à mériter d’être préférés à tous les autres. Il faut donc dans un tel pays abandon- ner l’expérience et se borner aux conjectures. Réduit à de semblables moyens, je voudrais bien savoir, lorsqu’il m’arrive vingt jeunes gens de bonne mine, sur quel fondement je puis prendre les uns, et laisser les autres. Puisque je ne puis savoir lequel vaut le mieux, on conviendra, j’espère, que je serai moins sujet à me tromper si je les garde tous pour les armer et les exercer, et me réserver ensuite à en faire un choix plus sûr, lorsqu’après les avoir longtemps pratiqués et exercés, je con- naitrai quels sont ceux qui ont le plus de viva- cité et de courage. C’est donc une grande erreur d’en choisir d’abord un petit nombre pour en être plus sûr.

Quant au reproche de fatiguer le pays et les citoyens, je soutiens que la milice, quel- que imparfaite que soit son organisation, ne fa- tigue en rien les citoyens, puisqu’elle ne les arrache pas à leur travaux, ne les éloigne en rien de leurs affaires, et ne les oblige qu’à se rassembler les jours de fête pour les exercices. Cette habitude ne peut être préjudiciable ni au pays, ni aux habitants ; elle serait même utile aux jeunes gens. Au lieu de passer dans une oisiveté honteuse les jours de fête au cabaret,