Page:Oeuvres complètes de N. Macchiavelli, avec une notice biographique par J. A. C. Buchon.djvu/399

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ils se feraient un amusement de ces exercices militaires, qui forment un beau spectacle toujours agréable à la jeunesse.

Il me reste à parler de la proposition de payer une milice peu nombreuse, et de s’assurer ainsi de sa bonne volonté et de sa prompte obéissance. Je prétends, à cet égard, que vous ne pouvez tellement réduire le nombre de votre milice, que vous soyez en état de lui assurer constamment une solde qui la satisfasse. Si vous voulez former une milice de cinq mille hommes, et lui accorder un traitement dont elle soit contente, vous ne pouvez lui accorder par mois moins de dix mille ducats. J’observe d’abord qu’un pareil nombre ne suffit pas pour former une armée, et qu’il n’y a pas d’état qui pût résister à une pareille dépense. D’un autre côté, cette solde ne pourrait satisfaire votre milice, et l’obliger à se tenir prête en tout temps. Il n’en résulterait donc pour vous qu’un surcroit de dépenses, sans aucun surcroit de forces, et vous n’auriez acquis aucun moyen nouveau de vous défendre ou de former quelque entreprise considérable. Si vous augmentez la dépense ou la milice, vous augmenterez la difficulté du paiement ; si vous diminuez l’une ou l’autre, vous ne faites qu’accroître les mécontents, ou votre impuissance. Vouloir donc établir une milice payée en tout temps, c’est faire une proposition inutile ou impossible. Sans doute, il faut payer votre milice, mais quand vous l’envoyez à la guerre. Enfin, en supposant qu’une pareille institution fût quelquefois gênante pendant la paix, pour les conscrits, ce que je ne prévois pas, l’état en serait amplement récompensé par tous les avantages qu’il en retirerait ; car sans cette milice il n’y a pour lui nulle sûreté.

Je conclus que vouloir cette troupe peu nombreuse pour pouvoir la payer, ou pour quelque autre des raisons dont vous n’avez déjà parlé, est une erreur très-funeste ; et ce qui confirme encore mon opinion, c’est que chaque jour le nombre d’hommes de votre milice diminuera par une foule d’empêchements qui surviendront à vos soldats : et vous la verrez se réduire presque à rien. Enfin, ayant une milice nombreuse, vous pouvez au besoin augmenter ou affaiblir votre armée active. Elle doit d’ailleurs vous servir et de ses forces réelles, et de la réputation que lui donnent ses forces : or, le nombre assurément contribue à cette réputation. J’ajoute de plus que l’objet de la milice étant de tenir les citoyens exercés, si vous n’en enrôlez qu’un petit nombre sur un pays étendu, ils seront si éloignés du lieu de l’exercice, que vous ne pourrez les y réunir sans leur causer un véritable dommage ; si vous renoncez aux exercices, votre milice vous devient tout-à-fait inutile, comme je vous le prouverai.

Cos. Je suis très satisfait de la manière dont vous avez résolu ma question ; mais il me reste un autre doute, que je vous prie d’éclaircir. Les détracteurs de la milice prétendent que cette foule d’hommes armés n’est pour un pays qu’une source de troubles et de désordres.

FABR. Je vous prouverai que cette opinion n’est encore qu’une erreur. Ces citoyens armés ne peuvent causer de désordres que de deux manières : ou en s’attaquant les uus les autres, ou en attaquant le reste des citoyens. Mais il est facile de parer à ce danger, quand l’insti- tution elle-même n’en serait pas le premier remède. Quant à la crainte de les voir s’atta- quer les uns les autres, je soutiens que leur donner des armes et des chefs, c’est éteindre les troubles bien loin de les fomenter. En effet, si le pays où vous prétendez établir la milice est si peu aguerri que personne n’y porte des armes, et tellement uni qu’il n’y ait ni chef ni parti, cette institution l’aguerrira, le rendra plus redoutable à ses voisins, sans y causer plus de désordres ; car de bonnes lois inspirent le respect de l’ordre aux hommes armés, comme à ceux qui ne le sont pas. Or, ce respect ne peut être altéré, si vos chefs n’en sont la pre- mière cause ; et je dirai quels moyens il faut prendre pour éviter ce danger. Si le pays, au contraire, est aguerri et déchiré par les fac- tions, cette institution seule peut y ramener la tranquillité. Les armées et les chefs n’y exis- taient que contre les citoyens ; celles-là étaient inutiles contre l’ennemi étranger ; ceux-ci ne servaient qu’à nourrir le désordre. Par notre institution, les armées deviennent utiles, et les chefs ramènent l’ordre. Si quelque citoyen re- cevait quelque offense, il avait recours à son chef de parti, qui, pour maintenir son crédit, l’exhortait, non à la paix, mais à la vengeance. Les chefs que nous créons suivent une conduite