Page:Oeuvres complètes de N. Macchiavelli, avec une notice biographique par J. A. C. Buchon.djvu/400

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LIVRE PREMIER. 329 tout opposée. Nous étouffons toute semence | A la mort de ceux-ci, le sénat aurait eu plus de civisions, et préparons des moyens de con- corde. Ainsi les pays où les habitants étaient unis, mais sans vigueur, perdent leur mollesse et se maintiennent en paix ; les états, au con- traire, où régnaient la confusion et le désordre, voient leurs citoyens se réunir, et tourner à l’avantage commun cette férocité de mours, qui n’avait jusqu’alors enfanté que des troubles. Vous avez parlé d’un autre danger : c’est que les citoyens armés ne cherchent à oppri- mer ceux qui ne le sont pas. Mais ce mal ne peut arriver que par la volonté des chefs qui les gouvernent. Pour le prévenir, il faut em- pêcher que ces chefs n’acquièrent sur leurs troupes une trop grande autorité. Cette auto- rité s’obtient ou naturellement, ou bien par accident. Quant au premier cas, il faut établir que jamais un citoyen ne commandera les con- scrits de la province où il est né ; quant au se- cond, il faut que votre institution soit tellement organisée, que tous les ans les chefs passent d’un commandement à l’autre. Une autorité prolongée sur les mêmes hommes fait naftre entre eux et leurs chefs une union intime qui ne peut être que préjudiciable aux intérêts du souverain. Si l’on se rappelle l’histoire des Assy- riens et des Romains, on verra combien ces mutations sont utiles aux états qui les ont adoptées, et combien il est dangereux de les né- gliger. Le premier de ces empires subsista mille ans sans troubles et sans guerre civile, et ne dut ce bonheur qu’aux mutations constantes qui, chaque année, envoyaient d’une province à l’autre les généraux des armées. D’un au- tre côté, la funeste habitude de tenir toujours dans les mêmes gouvernements les armées romaines et leurs chefs, fut la seule cause, après l’extinction de la famille de César, de tant de guerres civiles entreprises, de tant de conspirations ourdies contre les empereurs par les généraux romains. Si quelques-uns de ces premiers empereurs, ou de ceux qui leur ont succédé avec tant de gloire, tels qu’Adrien, Marc-Aurèle, Sevère et autres, cussent eu assez de prévoyance pour établir ces muta- tions dans l’empire, ils l’auraient affermi, et FABR. Vous passez à une autre question : je ils en auraient prolongé la durée. Les géné-vous le dirai en son temps. Je dois vous expli- vaux auraient eu moins d’occasions de révolte, quer auparavant comment il faut armer l’in et les empereurs moins de sujets de soupçons. fanterie et l’exercer au combat. d’influence sur l’élection de leurs successeurs, et l’élection eût été meilleure. Mais ni les bons ni les mauvais exemples ne peuvent détruire les pernicieuses habitudes que l’ignorance ou le peu de soin ont introduites parmi les hommes. Cos. Il me semble que, avec toutes mes ques- tions, je vous ai fait bien sortir de votre sujet. Nous avons quitté le mode d’élite pour examiner d’autres propositions : si déjà je ne vous avais fait mes excuses, je mériterais des reproches. FABR. Point du tout. Ces diverses excursions étaient nécessaires. Puisque mon projet était de traiter des avantages de la milice, que beau- coup de gens contestent, je devais commencer par réfuter toutes leurs objections, car la mi- lice doit être la base de notre recrutement, autrement dit de notre élite. Mais avant de trai- ter d’autres parties, je veux parler de l’élite des hommes à cheval. Les anciens les prenaient parmi les plus riches, ayant à la fois égard à l’âge et la qualité. Chaque légion en comptait trois cents ; de sorte que dans chaque armée consulaire, la cavalerie romaine ne passait pas six cents hommes. Cos. Fericz-vous une milice de cavalerie exercée pendant la paix, et destinée à servir pendant la guerre ? FABR. Oui, assurément, si l’état ne veut avoir que des soldats qui lui appartiennent, et non des hommes qui fassent de la guerre leur unique métier. Cos. Comment les choisiriez-vous ? FABR. J’imiterais les Romains : je les pren- drais parmi les riches ; je leur donnerais des chefs comme on le fait à présent, et j’aurais soin de les armer et de les exercer. Cos. Croyez-vous qu’il fût utile de leur donner une solde ? FABR. Qui ; mais seulement la somme néces- saire à chacun pour nourrir son cheval ; car il ne faut pas que les citoyens se plaignent d’un surcroît d’impôt. Il faut donc payer seulement le cheval et son entretien.

Cos. A quel nombre les porteriez-vous, et quelles armes voudriez-vous leur donner ?