Page:Oeuvres complètes de N. Macchiavelli, avec une notice biographique par J. A. C. Buchon.djvu/401

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FABRIZIO. Quand on a trouvé ses soldats, il faut les armer. Pour cet effet, nous devons examiner les armes qu’employaient les anciens, et de celles-ci prendre les meilleures. Les Ro- mains partageaient leur infanterie en soldats pesamment armés, et en soldats armés à la légère qui s’appelaient vélites. On comprenait sous cette désignation les frondeurs, les ar- chers, et ceux qui lançaient le javelot. La plupart de ces vélites avaient la tête couverte, et le bras armé d’un petit bouclier rond ; c’é- taient là toutes leurs armes défensives. Ils com- battaient hors des rangs, et à quelque dis- tance des soldats pesamment armés. Ceux-ci portaient un casque qui descendait jusqu’aux épaules, une cuirasse dont les bandes tom- baient sur les genoux, des brassards et des jambières sur les bras et sur les jambes, et au bras un bouclier long de deux brasses et large d’une. Ce bouclier était couvert d’un cercle de fer pour pouvoir résister aux coups, et doublé d’un autre cercle de même métal, pour l’em- pêcher de s’user en le trainant à terre. Leurs armes offensives étaient une épée ceinte au côté gauche, longue d’une brasse et demie, un stylet au côté droit, et enfin un dard à la main, qu’on appelait pilus, et qu’ils lançaient à l’ennemi au commencement du combat. Tel- les étaient les armes avec lesquelles les Ro- mains conquirent le monde entier. Je sais que quelques anciens écrivains met- tent à la main du soldat romain, outre les ar- mes dont je viens de parler, une pique en forme d’épieu ; mais je ne conçois pas com- ment une pique pesante peut être maniée par un homme qui tient déjà son bouclier ; car on ne peut s’en servir à deux mains avec le bou- clier, et son poids ne permet pas de la manier d’une seule main. Cette arme d’ailleurs n’est d’aucun service dans les rangs ; il n’est possi- ble de l’employer qu’à la première ligne, où l’on a la facilité de l’étendre tout entière ; ce qu’on ne peut faire dans les rangs. Il faut qu’un bataillon, comme je l’établirai en trai- tant des évolutions militaires, tende ors à serrer ses rangs ; pratique qui, maigre quel- ques inconvénients, offre pourtant vien moins de danger que d’y laisser trop d’espace. Ainsi toutes les armes plus longues que deux prasses deviennent inutiles dans la mêlée. Si vous êtes en effet armé d’une pique, et que vous vouliez la manier à deux mains, en supposant que vous ne soyez pas empêché par votre bouclier, à quoi vous sert cette pique quand l’ennemi est sur vous ? Si, au contraire, vous la prenez avec une seule main pour vous servir du pou- clier, vous ne pouvez la saisir que par le mi- lieu, et alors la partie de la pique qui est der- rière vous est si longue, que le rang qui vous suit vous ôte toute faculté de la manier avec avantage. Pour vous persuader que les Ro- mains n’avaient point de ces piques, ou du moins ne s’en servaient guère, vous n’avez qu’à faire attention à tous les récits de batailles dans Tite-Live : il ne parle presque jamais des piques ; il dit toujours qu’après avoir lancé leurs dards, les soldats mettent l’épée à la main. Je laisse donc là les piques, et m’en tiens à l’épée quant aux armes offensives des Romains, et au bouclier et aux autres armes dont j’ai parlé, quant à leurs armes défensives. Les armes défensives des Grecs n’étaient point si pesantes que celles des Romains : pour les armes offensives, ils se confiaient plus à la pique qu’à l’épée, surtout les Macedoniens, qui portaient des piques longues de dix brasses, nommées sarisses, avec lesquelles ils ouvraient les rangs ennemis, et maintenaient serrés les rangs de leur phalange. Quelques écrivains soutiennent qu’ils portaient aussi le bouclier ; mais je n’imagine pas, d’après les raisons que je viens de développer, comment ils pouvaient se servir de ces deux armes à la fois. Je ne me rappelle pas d’ailleurs que, dans le récit de la bataille de Paul Émile contre Persée, on fasse mention des boucliers : on ne parle que des sa- risses et des obstacles terribles qu’elles oppo- sèrent aux Romains. Je conjecture que la