Page:Oeuvres complètes de N. Macchiavelli, avec une notice biographique par J. A. C. Buchon.djvu/402

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phalange macédonienne était à peu près ce qu’est parmi nous un bataillon de Suisses, dont toute la force consiste dans ses piques. L’infanterie romaine était en outre ornée de panaches, qui lui donnaient un aspect à la fois plus imposant et plus terrible. Dans les pre- miers temps de Rome, la cavalerie portait un bouclier et un casque ; le reste du corps était sans défense ; elle avait pour armes offensives une épée, et une pique longue et mince ferrée seulement à l’un des bouts. Cette pique l’em- pêchait de tenir ferme son bouclier ; elle se brisait dans l’action, et laissait le cavalier dés- armé et exposé à tous les coups. Mais cette cavalerie prit bientôt les armes de l’infanterie, à cette différence que son bouclier était carré et plus court, et sa pique plus solide et armée de fers aux deux bouts. Par là, lorsqu’elle ve- nait à se briser, le tronçon qui restait au cava- lier pouvait lui servir encore. C’est, je le ré- pète, avec ces armes que les Romains ont conquis le monde ; et l’on peut juger de leur supériorité par les succès qu’elles leur valu- rent. Tite-Live en fait souvent mention dans son histoire lorsqu’il compare les deux ar- mées ennemies, on le voit toujours terminer ainsi le parallèle. Mais les Romains l’empor- > taient par leur valeur, l’espèce de leurs ar- » mes et leur discipline. C’est pour cette raison que je me suis plus étendu sur les ar- mes des vainqueurs que sur celles des vaincus. Il me reste à parler actuellement des nôtres. L’infanterie a pour arme défensive une cui- rasse de fer, et pour armes offensives une lance longue de neuf brasses, qu’on appelle pique, et une épée au côté, dont le bout est plutôt rond que pointu. Voilà les armes ordinaires de l’infanterie aujourd’hui ; un petit nombre a le dos et les bras couverts, mais pas un la tête. Ceux qui sont armés ainsi portent, au lieu de pique, une hallebarde dont le bois, comme vous savez, est long de trois brasses, et le fer a la forme d’une hache ; ils ont parmi eux des fusiliers, qui, par leur feu, remplacent l’effet des frondes et des arbalètes des anciens. Ce sont les Allemands, et surtout les Suisses, qui, les premiers, ont armé ainsi leurs soldats. Ceux-ci, pauvres et jaloux de leur liberté, étaient et sont encore sans cesse obligés de ré- sister à l’ambition des princes allemands qui pouvaient aisément entretenir une nombreuse cavalerie. Mais la pauvreté des Suisses leur re- fusait ce moyen de défense, et, obligés de com- battre à pied contre des ennemis à cheval, il leur fallut recourir au système militaire des anciens, qui peut seul, au jugement de tous les hommes éclairés, assurer les avantages de l’infanterie. Ils cherchèrent des armes capables de les défendre contre l’impétuosité de la cava- lerie, et prirent la pique, qui peut seule avec succès, non-seulement soutenir l’effort de la cavalerie, mais encore la mettre en déroute. La supériorité de ces armes et de cette disci- pline a inspiré aux Allemands tant d’assurance, que quinze ou vingt mille hommes de cette na- tion ne craindraient pas d’attaquer la plus nom- breuse cavalerie ; et on en a eu bieu souvent la preuve depuis vingt-cinq ans. Enfin tous les avantages qu’ils devaient à ces institutions se sont manifestés par de si puissants exemples que, depuis l’invasion de Charles VIII en Italie, toutes les autres nations se sont empressées de les imiter, et les armées espagnoles ont acquis par ce moyen une très-grande réputation. Cos. Lesquels, à cet égard, préférez-vous des Allemands ou des Romains ? FABR. Les Romains, sans aucun doute. Mais je vais vous développer les avantages et les in- convénients des deux systèmes. L’infanterie allemande peut arrêter et vaincre la cavalerie : n’étant point chargée d’armes, elle est plus leste en route, et se forme plus promptement en bataille ; mais d’un autre côté, sans armes dé- fensives, elle est exposée de loin comme de près à tous les coups. Elle est inutile dans la guerre de siéges et dans tous les combats où l’ennemi est déterminé à se defendre avec vigueur. Les Romains savaient aussi bien que les Allemands soutenir et repousser la cavalerie ; et, tout cou- verts d’armes, ils étaient, de loin comme de près, à l’abri des coups : leur bouclier rendait leur choc plus rude, et les mettait en état d’arrêter plus aisément le choc de l’ennemi. Dans la mêlée, ils pouvaient se servir avec plus de succès de leur épée que les Allemands de leur pique ; et si ceux-ci, par hasard, sont armés d’une épée, n’ayant point de bouclier, elle leur devient alors presque inutile. Les Romains ayant le corps couvert ct pouvant se mettre à l’abri sous leur bouclier, attaquaient