Page:Ovide - Œuvres complètes, trad Nisard, 1838.djvu/567

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toi propice à tes sénateurs, au peuple de Quirinus, [1, 70] et, d'un signe, ouvre-nous les portes de ton magnifique sanctuaire.

Un jour fortuné se lève; silence et recueillement: une fête demande des paroles de fête. Plaideurs, laissez reposer nos oreilles; trêve, trêve à vos criailleries insensées! Reprends haleine, race à la langue envenimée! [1, 75] voici que s'allument des feux dont l'air se parfume; voici que pétille, au foyer, le safran, la fleur de Cilicie; l'éclat de la flamme est répété par l'or des temples, et se joue aux voûtes sacrées en clartés vacillantes. On monte à la roche tarpéienne en habits de fête, [1, 80] et le peuple veut que la blancheur de ses vêtements soit le symbole de cette solennité. Déjà les faisceaux marchent devant les nouveaux consuls; la nouvelle pourpre attire les regards éblouis; de nouveaux magistrats se sont assis sur l'ivoire éclatant des chaises curules. Les jeunes taureaux qu'ont nourris les gras pâturages des Falisques présentent aux coups de la hache leur tête que le joug avait respectée. [1, 85] Salut, jour fortuné! apporte-nous toujours d'heureux présages; tu mérites les hommages d'un peuple roi; Jupiter n'aperçoit rien qui n'appartienne à Rome, quand, du haut de l'Olympe, il contemple l'univers.

Mais comment parlerai-je de toi, Janus à double forme? [1, 90] la Grèce n'a aucune divinité qui te ressemble. Dis-nous donc pourquoi, seul des immortels, tu vois en même temps ce qui est devant toi et ce qui est derrière. Tandis que, mes tablettes à la main, je roulais ces questions dans mon esprit, une lumière éclatante se répandit dans ma demeure, [1, 95] et, soudain, je vis paraître devant moi le saint, le merveilleux, le double Janus! Immobile de stupeur, je sentis mes cheveux se dresser d'épouvante; un froid subit glaça mon coeur. Le dieu, tenant dans sa main droite un bâton, une clef dans sa gauche, [1, 100] m'apostrophe en ces termes: "Rassure-toi, chantre laborieux des jours; je vais répondre à tes demandes; prête une oreille attentive à mes discours. Autrefois (car je suis chose antique), autrefois on m'appelait chaos; tu vas voir à quelle époque lointaine remontent mes récits. [1, 105] Cet air diaphane et les trois autres éléments, le feu, l'eau, la terre se tenaient ensemble et ne faisaient qu'un tout; mais ces natures hétérogènes n'ayant pu rester longtemps unies, brisèrent leurs liens et se disséminèrent dans l'espace. Le feu monta vers les régions supérieures, au-dessous se répandit l'air, [1, 110] au centre s'établirent la terre et les eaux; c'est alors que, cessant d'être une masse informe et grossière, je repris le corps et la figure d'un dieu. Maintenant même, je garde quelques traces de cette confusion primitive: je suis le même par devant et par derrière; [1, 115] mais il est une autre raison de cette singularité de ma figure;