Page:Ovide - Œuvres complètes, trad Nisard, 1838.djvu/650

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fleurs les plus magnifiques, et m'a dit: "Déesse, sois la souveraine de ces fleurs." Souvent j'ai voulu classer et compter leurs couleurs; mais je n'ai pu: leur multitude était si grande qu'aucun nombre n'y pouvait suffire. [5, 215] Aussitôt que les feuilles ont secoué les froides gouttes de la rosée, et que les tiges variées se sont réchauffées aux rayons du soleil, je vois accourir ensemble les Heures aux robes diaprées; elles recueillent mes présents dans de légères corbeilles; les Grâces s'en emparent à l'instant pour tresser des guirlandes et des couronnes [5, 220] qui se mêleront à la chevelure des dieux. La première j'ai répandu des semences inconnues sur l'immense surface de l'univers; la terre, auparavant, ne présentait qu'une seule couleur. La première j'ai fait une fleur du sang du jeune Thérapnéen, et, sur ses feuilles, sa plainte est restée gravée. [5, 225] Toi aussi tu as un nom dans les jardins, ô Narcisse, malheureux de n'avoir pu être à la fois et roi et un autre toi-même! Parlerai-je de Crocus, et d'Attis, et d'Adonis, fils de Cyniras? C'est grâce à moi que, par leurs blessures mêmes, ils ont revécu sous une forme plus belle.

C'est à mon pouvoir, enfin, si tu l'ignores, que Mars a dû de voir le jour; [5, 230] puisse ce prodige être ignoré à jamais de Jupiter! Quand Minerve fut née sans mère, la vénérable Junon ne put voir sans douleur que Jupiter l'eût dispensée de remplir son rôle d'épouse; elle allait se plaindre à l'Océan de cette atteinte portée aux droits de l'hyménée; mais la fatigue l'arrêta sur le seuil de mon palais. [5, 235] Dès que je l'aperçus: "Qui t'amène vers moi, lui dis-je, ô fille de Saturne?" Elle m'apprend alors quel dieu elle va voir, et pourquoi elle va le voir. J'essaie en vain de la consoler. "Ce n'est point par des paroles, dit-elle, que tu peux adoucir ma peine. Si Jupiter est devenu père sans que son épouse y ait participé, [5, 240] s'il a seul suffi à un double ministère, pourquoi n'aurais-je pas l'espoir de devenir mère sans mon époux, et de concevoir sans ses embrassements, en restant, toutefois, chaste et fidèle?" J'essaierai la vertu des simples de la terre; j'interrogerai la mer même, et jusqu'aux replis les plus secrets du Tartare." [5, 245] Ma bouche allait s'ouvrir; l'hésitation se peignait sur mon visage. "Nymphe, dit-elle, il est une chose, je ne sais laquelle, que tu peux pour moi." Trois fois je voulus lui promettre mon aide, trois fois ma langue s'arrêta; je tremblais à l'idée d'exciter le courroux du grand Jupiter. "Viens à mon secours, dit-elle, je te supplie; ton intervention sera ignorée;" [5, 250] et, en même temps, elle me le jura par la divinité du Styx. "Je satisferai à ta demande, lui dis-je, à l'aide d'une fleur qui m'est venue des champs d'Olène; elle est unique dans nos jardins; celui qui m'en fit don me dit: "Touche avec cette fleur une génisse; fût-elle stérile, elle sera mère." J'obéis, je touchai la génisse, et elle devint mère aussitôt." [5, 255] Ma