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LA PERSE ET LA GRÈCE.

culinaire. Mille bœufs, quatre cents moutons, cinq cents oies grasses, trois cents tourterelles, six cents oiseaux rares, des monceaux de blé, des flots d’huile, une mer de vin, des épices à surcharger un vaisseau tout s’y compte par tas et par hécatombes. La « Bouche du Roi », comme l’étiquette appela plus tard ce service, était un gouffre qui engloutissait, chaque jour, la nourriture d’une grande ville. Le livre d’Esther parle d’un festin donné par Assuérus — le Xerxès d’Hérodote — à ses commensaux, qui dura sept jours et sept nuits. Xerxès y parut, sans doute, coiffé de la tiare droite que le monarque seul avait droit de ceindre, et vêtu de cet habit chargé de diamants, qu’un historien grec, vantant la force de son successeur, le loue d’avoir pu porter tout une matinée, sans qu’il eût faibli sous son poids.

Au centre de cet éblouissement, le Grand Roi léguait dans une profondeur, masqué en dieu, invisible et inabordable. Le peuple ne le connaissait que par les taureaux ailés à face humaine, dressés aux portes de son palais, symboles de sa force et de sa puissance. Un rideau de pourpre voilait, comme un nuage, ce soleil humain, pendant ses audiences. Qui l’approchait devait d’abord l’adorer, c’est-à-dire se prosterner à ses pieds : Thémistocle lui-même, pour voir Artaxerxe, dut plier sa taille de héros à cette servile étiquette. Sa présence frappai de mort l’au-