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ESCHYLE.

tempête éclata et rabattit d’un revers de vagues. Xerxès entra en fureur, comme s’il avait été souffleté par ce bras de mer. Il fit fustiger l’Hellespont et jeter une paire d’entraves dans ses flots. On dit même qu’il envoya ses bourreaux marquer au fer rouge le Triton rebelle. — « Ô toi, Eau amère ! » — criaient les flagellateurs tandis que leurs fouets déchiraient sa houle, — « voilà le châtiment que notre maître t’inflige, parce que tu lui as nui quand il ne t’avait fait aucun mal. Le roi Xerxès te traversera, que tu le veuilles ou non. C’est bien justement que nul homme ne t’offre de sacrifices, fausse mer ! car tu n’es qu’un fleuve perfide d’eau salée. »

Ce supplice follement puéril, infligé à un élément, n’a rien qui étonne dans un monarque aussi terriblement absolu que l’était Xerxès. L’omnipotence fait retomber en enfance l’homme qui n’est pas de taille à la supporter. Le vertige saisit sur son comble la souveraineté sans obstacle et sans garde-fou ; il lui fait perdre le sens des réalités, et la notion des limites. Qui peut tout sur les hommes veut bientôt tout sur les choses. Le despote ne distingue plus nettement une rébellion de la nature de l’insurrection d’une province, une mer qui mugit d’un peuple qui gronde. Le mot « Impossible » n’était pas plus persan pour Xerxès qu’il n’était latin pour Héliogabale.