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ESCHYLE.

celle où, plus que dans aucune autre, il a mis son âme. Le poète avait combattu les combats qu’il chante, il y avait brandi la lance et versé son sang. Il semble qu’on le voie assis sur une plinthe, un glaive à ses pieds, gravant son drame sur l’airain de sa cuirasse dégrafée. Les Perses, a-t-on dit, sont un hymne plutôt qu’un drame, une cantate déguisée en tragédie, qui n’en a que le costume et le masque. Mais l’hymne manié avec cette puissance, a son action comme la tragédie ; il suffisait à des âmes plus jeunes, à des esprits plus vibrants et plus résonnants que les nôtres. La corde de l’ode frappée par la main d’Eschyle, rend toutes les notes de terreur et de pitié, d’émotions et de gradations qui composent la lyre dramatique. Ce mode enthousiaste s’accordait d’ailleurs à l’état des âmes encore tout exaltées du triomphe. Si l’on juge des Perses par l’effet produit, quelle tragédie excita jamais de pareils transports ! Le goût moderne juge monotones ces plaintes redoublées, ces longs chants de deuil. Des voix lointaines lui répondent à travers les siècles, celles des spectateurs qui, au sortir du théâtre, couraient frapper sur les boucliers pendus aux portes des temples, en criant : « Patrie ! Patrie ! »

Athènes n’admettait pas ce que nous appelons l’actualité dans la tragédie. Elle réprouvait l’infortune et la gloire même transportées toutes vives sur