Page:Paul de Saint-Victor - Les deux masques, tome 1.djvu/211

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
201
LES PERSES D’ESCHYLE.

la scène. — On a vu Phrynicos châtié pour y avoir porté la Prise de Milet. Le lointain faisait partie de son idéal, l’antiquité était la perspective de son art. Dans un sujet comme celui des Perses, la Démocratie athénienne, justement soupçonneuse après Pisistrate, n’aurait pas supporté, du reste, les victoires du peuple personnifiées par des chefs, sur le piédestal de la scène. Elle répugnait à l’apothéose d’où pouvait surgir un tyran. Athènes récompensait dignement ses grands citoyens avec des éloges publics et des couronnes de feuillages, des inscriptions sur les stèles et des bustes sous les portiques. Mais Thémistocle ou Aristide exhaussés, de leur vivant, sur la hauteur du cothurne, divinisés par le chant tragique, absorbant en leur personne, par l’unité de l’action, les exploits de tous ! — la plage du Pirée n’aurait pas eu assez de coquilles pour l’Ostracisme qui aurait puni cette exorbitante ovation. Applaudis peut-être pendant la durée du drame, ils auraient été bannis sûrement après.

Cette règle dramatique sortant de la raison politique, était inviolable ; Eschyle tourna l’obstacle par un mouvement inspiré. Ne pouvant donner à sa tragédie le recul du temps, il lui donna l’éloignement du lieu ; il la transporta de Grèce en Asie, et retourna la victoire en la faisant apparaître sous la face du désastre au peuple vaincu. Le coup direct fut remplacé