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ESCHYLE.

et de Phrynicos, Eschyle lui creusa un lit et lui traça son rivage. Il imposa des flux et des reflux à ses flots lyriques. Les danses et les chants ne submergèrent plus la parole ; elle les domina de sa dignité supérieure, l’Esprit plana sur cette mer. Sans doute, le rôle du Chœur paraît encore démesuré dans ses tragédies. On sent les efforts que fait le poète pour dégager son drame du dithyrambe primitif. Quoi qu’il fasse, il y reste toujours pris par quelque côté. Je crois voir Milon de Crotone se tordant sous l’étreinte du chêne que font craquer ses bras révoltés. Mais réduire la fonction presque liturgique de ce clergé théâtral était déjà une très grande audace. L’art grec, pour conquérir sa liberté merveilleuse, eut longtemps à lutter contre l’archaïsme et la routine de ses Sages ; l’Égypte avait chez lui une école. Son âme si agile et si vive, sa Psyché ailée est sortie d’une chrysalide de rites et de règles aussi épaisse qu’une momie de Memphis. On sait le lourd bâton de censeur que Solon leva sur Thespis, coupable d’avoir montré des fictions au peuple. Les magistrats de Sparte firent clouer à un mur, comme au pilori, la lyre à laquelle Therpandre avait ajouté une quatrième corde. Plus tard, Timothée ayant ajusté à la sienne deux fibres nouvelles, un des Éphores, le couteau en main, lui demanda de quel côté il préférait qu’on la mutilât.