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ESCHYLE.

formes ; il les fit modeler et peindre, d’après les types consacrés, plus grands et plus accentués que nature, avec ces bouches béantes, ces yeux caverneux, ces traits saillants, ces chevelures étagées et calamistrées qui frappaient chaque personnage à l’effigie d’une tête surhumaine. Joint aux plastrons qui amplifiaient les membres, aux gants énormes qui grossissaient les mains, ce masque monumental faisait de l’acteur un spectre effrayant. Même en recomposant l’immense perspective du théâtre attique, le goût moderne a peine à comprendre, dans la plupart de ses drames, cette figuration gigantesque ; elle excédait les dimensions de la vie. On ne voit pas les héros proportionnés de Sophocle, les personnages tout humains d’Euripide, représentés par des géants masqués, chaussés de piédestaux, aux faces immobiles et marmoréennes. Mais cette mise en scène titanique, appliquée aux tragédies d’Eschyle, paraît leur mesure exacte, leur forme normale. Sa terrible idéalité est la nature même de ses personnages.

Tout, en effet, est démesuré dans Eschyle la scène, les figures, les passions, les catastrophes, le langage. Son génie n’est pas seulement extraordinaire, mais unique dans sa race et dans son milieu. Il dépasse les proportions de la nature hellénique. Les fouilles récentes des géologues ont fait une étrange découverte ; elles ont exhumé du sol de l’Attique, à