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Page:Petit de Julleville - Histoire de la langue et de la littérature française, t. 1, 1896.djvu/102

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LXVIII
INTRODUCTION

pouvoir sur une des provinces de la Gaule (911) et y réimportèrent un dialecte voisin des premiers, le danois (lingua dacisca ou danica). Ce nouvel idiome partagea quelque temps, avec le roman, la possession du pays, mais son déclin, conséquence fatale de la complète transformation des Northmans, semble avoir été très rapide. Au xiie siècle, si on en croit Benoît de Saint-More, il s’entendait encore sur les côtes ; mais, dès le règne du second duc, il avait reculé considérablement devant le roman à l’intérieur. La victoire de celui-ci fut complète, et quand Guillaume le Bâtard passa la mer, ce ne fut pas le danois qu’il porta en Angleterre, mais un dialecte du roman de France, qui y devint l’anglo-normand[1].

Toutefois l’arrivée des barbares, si elle ne chassa pas le latin, eut sur ses destinées une influence considérable. D’abord il perdit, malgré tout, quelques provinces de son domaine, et la limite du roman recula bien en deçà du Rhin.

En second lieu, ce qui est de beaucoup plus important, le trouble que le changement de maîtres, l’invasion et les catastrophes qui l’accompagnèrent jetèrent dans le monde, l’état d’inquiétude et de barbarie qui en résulta amena, comme j’ai déjà eu l’occasion de le dire, la ruine des lettres et des études ; dès lors, en l’absence de toute autorité et de toute tradition grammaticale, le moyen comme le désir de parler correctement étant supprimés, le latin des illettrés triompha et, comme il évoluait désormais librement, sans contrôle ni retenue, il se précipita dans les voies où il était déjà engagé, ou s’en ouvrit de nouvelles. Fustel de Coulanges a dit : « L’invasion a mis le trouble dans la société, et c’est par cela même qu’elle a exercé une action considérable sur les âges suivants. En faisant tomber l’autorité romaine, elle a supprimé, non pas d’un seul coup,

  1. Sur cette question, voir Joret, Du caractère et de l’extension du patois normand, Paris, 1883 : Raynouard, Journ. des Savants, 1820, p. 395. Guillaume Longue Épée, recommandant son fils Richard à Bothon, dit que le danois domine à Bayeux tandis qu’à Rouen, dans la capitale, on parle plutôt le roman. (Dudon de St-Quentin, De mor. et act. prim. Normanniæ ducum, p. 221. Mem. de la Société des Ant. de Norm., 1858, XXIII. Adhémar de Chabanes, dans Pertz, Mon. germ., IV, p. 127, dit de son côté : Normannorum, qui juxta Frantiam inhabitaverant, multitudo fidem Christi suscepit, et gentilem linguam omittens, Latino sermone assuefacta est (§ 27). Des mots normands se retrouvent dans le vocabulaire de la contrée, dans les noms de lieux : torp (village), nés (promontoire), gate (rue, porte), fleur (baie, golfe). Il y en a aussi dans le vocabulaire français proprement dit.