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Page:Petit de Julleville - Histoire de la langue et de la littérature française, t. 1, 1896.djvu/103

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LXIX
ORIGINES DE LA LANGUE FRANÇAISE

mais insensiblement, les règles sous lesquelles la société était accoutumée à vivre. Par le désordre qu’elle a jeté partout, elle a donné aux hommes de nouvelles habitudes, qui, à leur tour, ont enfanté de nouvelles institutions. » Je n’ai pas à discuter si cette appréciation est historiquement tout à fait exacte, et si les faits sont présentés ici avec leur vraie portée. Mais, transposée et appliquée aux événements linguistiques de l’époque, la phrase est d’une grande justesse, et exprime à merveille ce qui résulta de plus considérable de l’établissement des barbares en Gaule.

Néanmoins, il importe de le signaler aussi, un nombre assez considérable d’éléments germaniques, s’introduisirent dans le gallo-roman, et si l’ancien français en a peu à peu éliminé une partie, le français moderne en possède encore un contingent important.

La difficulté n’est pas en général de les reconnaître comme germaniques[1], c’est de déterminer leur âge et leur provenance. Des très anciens dialectes germaniques, des Germains établis en Gaule, le gothique seul nous est bien connu directement, et il n’a eu sur le français qu’une influence négligeable. Du bourgondion nous ne savons presque rien[2], mais à peine a-t-il agi sur le provençal ; au français il n’a quasi rien donné. Malheureusement le francique, qui a eu l’influence la plus considérable sur notre idiome, ne peut être non plus étudié qu’à travers mille difficultés. Quelques diplômes, des monnaies, les noms propres, des mots glissés dans le texte latin de la loi salique, voilà à peu près les éléments dont dispose la philologie germanique pour observer directement cet idiome. Il en résulte qu’on doit beaucoup abandonner à l’induction et même à l’hypothèse dans les reconstructions qu’on en fait. Toutefois il reste certain — et l’histoire générale mettrait au besoin ce point hors de doute — que la masse des mots d’origine germanique de la première époque vient de cette source. Après cela, le nordique des Normands, l’anglo-saxon, le « dutsch » des Pays-Bas, appelé depuis

  1. On hésite pourtant assez souvent entre une étymologie germanique et une étymologie celtique. Ex. : chemise, briser.
  2. La Lex Burgundiorum n’a que très peu de traces de germanique. Il faut y ajouter quelques noms propres, des diplômes et de très courtes inscriptions runiques.