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Alain Chartier, il est le seul écrivain du moyen âge (sans distinguer les prosateurs des poètes) qui ait eu quelquefois le mérite du nombre ; j’appelle ainsi cette harmonie pleine et majestueuse (distincte de la douceur des sons) qui charme l’oreille et satisfait l’esprit, dans une belle strophe de Malherbe ou une période de Bossuet[1].



III. — Contes pieux.


Gautier de Coinci. — Nous réunissons sous un nom commun et conventionnel, celui de contes pieux, ou contes dévots, une centaine de petits poèmes, directement inspirés d’un sentiment religieux, mais qui ne sont, ni des traductions des livres saints, ou des Évangiles apocryphes, ni des vies de saints proprement dites : nous y comprenons les récits de miracles, obtenus par l’intercession de Notre-Dame ou des saints. Les recueils de miracles sont nombreux au moyen âge. La foi complaisante du temps acceptait le surnaturel avec une facilité docile ; ou plutôt le sollicitait avec une sorte d’avidité. Il n’est pas douteux qu’on n’ait quelquefois multiplié les récits miraculeux par des vues intéressées, pour accréditer un pèlerinage, et grossir la foule autour d’un tombeau vénéré. Mais dans la plupart des cas, le dessein des auteurs fut honorable ; et leur objet fut vraiment l’édification des âmes. Il est impossible de lire, par exemple, l’immense recueil des miracles versifiés par Gautier de Coinci, sans être persuadé de l’absolue sincérité du poète. Il nous choque souvent par l’excès de sa crédulité ; ailleurs par certaines licences de peinture et de langage. Lui-même convient qu’il a la plume un peu vive, et s’en excuse assez franchement :

S’aucunes fois chastes oreilles
S’esmerveillent de tiex[2] merveilles,
Raison depri que me deffende ;
Car dire estuet[3] si qu’on l’entende.

  1. M. P. Meyer loue avec raison la facture des vers dans la Vie de sainte Thaïs, écrite aussi en alexandrins. Il est fâcheux que le moyen âge ait négligé ce rythme ; il convenait à la langue beaucoup mieux que le vers de huit syllabes, fluide et incolore.
  2. Telles.
  3. Convient.