Page:Petit de Julleville - Histoire de la langue et de la littérature française, t. 1, 1896.djvu/161

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tive intervention du Ciel. Un tel conflit est de tous les temps ; il a formé le fond de tous les mélodrames populaires qui passionnaient la foule au commencement du siècle et aujourd’hui la captivent encore. Mais de notre temps dramaturges et romanciers ont essayé de compliquer l’intérêt en attribuant une habileté infernale aux personnages des traîtres. Au moyen âge, les traîtres ne sont que méchants ; ils ne seraient guère dangereux sans la stupidité des puissants, rois ou juges. La poésie, non pas seulement ici, mais dans presque tous les genres, les peint crédules à l’excès, et violents jusqu’à la fureur ; toujours l’oreille ouverte aux calomnies de leurs flatteurs, et l’âme livrée à des emportements effroyables. C’est une autre expression de ce sentiment général de défiance à l’égard des vertus humaines. Le poète (et, à n’en pas douter, il est ici l’interprète des préventions populaires) ne croit pas à la justice des hommes, ni surtout à celle des grands ; et les innocents, exposés à leur rage ou à leurs soupçons, lui semblent perdus sans remède, si Dieu ou la Vierge ne les vient secourir.

Mais je crois que le plus grand nombre de nos contes pieux est de ceux qui mettent en scène un pécheur repentant, sauvé même après de grands crimes. Ce sont ceux-là qui ont le plus étonné, disons le mot, scandalisé la piété plus éclairée d’une autre époque. Certes le repentir est une si belle chose qu’il n’en est même pas de plus belle ; et l’Évangile nous l’apprend. Mais dans les recueils de miracles, les repentis sont quelquefois de bien étranges pénitents. Voici la nonne qui s’enfuit de son abbaye pour aller courir le monde, et y vivre dans le désordre ; après bien des années, elle revient au couvent ; nul ne s’y est aperçu de son absence ; pendant tout ce temps Notre-Dame a tenu sa place et rempli son office. Voici le larron dévot qui n’allait jamais en campagne, sans invoquer la Vierge Marie. À la fin on le prend, on le juge, on le pend ; Notre-Dame arrive à son secours et soutient ce misérable, pour sauver sa vie et son âme. De tels récits étaient peut-être plus dangereux qu’édifiants. Il était sage d’enseigner aux pécheurs à ne se désespérer jamais. Devait-on leur laisser croire qu’il y a vraiment repentir sans nulle intention de mieux faire ? Il arrive trop souvent dans nos miracles, qu’un criminel très abominable est sauvé seulement