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Page:Petit de Julleville - Histoire de la langue et de la littérature française, t. 1, 1896.djvu/162

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pour avoir conservé, dans ses pires excès, la forme un peu machinale d’une dévotion tout extérieure envers Notre-Dame ou les saints.

Sans nous jeter dans une discussion théologique, dont ce n’est pas ici la place, qu’il nous soit permis de hasarder une distinction, qui, nous l’espérons, est orthodoxe. Quels que soient les vices ou les crimes des pécheurs dont Gautier de Coinci raconte et admire la justification, leur salut nous touche et nous édifie, lorsqu’il est mérité, ou du moins provoqué par leur repentir. Notre sympathie est plus rebelle, quand, du fond du précipice où leur péché les a plongés, ils sont rappelés à la lumière par l’intercession de Notre-Dame, sans qu’ils aient rien fait pour obtenir cette faveur ; rien que de l’invoquer par instinct, par habitude, et, pour ainsi dire, du bout des lèvres ; sans même un commencement de repentir efficace et de réparation. Nous sommes prêts à croire qu’une seule larme sincère peut effacer les pires fautes ; nous admirons Dieu dans cette merveilleuse miséricorde ; mais ne faut-il pas au moins que cette larme soit versée ? Elle ne l’est pas toujours dans les récits de Gautier de Coinci. J’avoue qu’en théorie, notre pieux auteur se garde bien de promettre jamais le salut sans le repentir :

Nus ne se doit desconforter
Pour nul pechié dont il se dueille[1],
Puis que servir et amer vueille
Nostre Dame sainte Marie[2].

Mais cette douleur salutaire ne paraît pas toujours dans les exemples qu’il nous raconte pour exalter les vertus de l’intercession de Marie. Louis Racine le constate et s’en plaint avec raison dans un Mémoire lu à l’Académie des Inscriptions sur le recueil de Gautier de Coinci. Il est bien aisé d’accuser Louis Racine de jansénisme, avec l’éditeur de ces Miracles[3] ; mais Louis Racine est-il janséniste, ou simplement chrétien quand il écrit « que la superstition imagina seule ces récits, et que seule elle peut les avoir accrédités dans un siècle où l’on se faisait de

  1. Dont il s’afflige.
  2. Miracle de Théophile, éd. Poquet, col. 68.
  3. Voir la Préface de l’édition Poquet.